Un fauteuil roulant électrique n’est pas un « véhicule terrestre à moteur » au sens de la loi Badinter du 05 juillet 1985 (Cass. Civ. 2ème, 06 mai 2021)

indemnisation victime accident de la route

Aux termes d’un arrêt rendu le 06 mai 2021 (lien ici), la Cour de cassation juge qu’un fauteuil roulant électrique est un dispositif médical destiné au déplacement d’une personne en situation de handicap et ne saurait être considéré comme un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi dite « Badinter » du 05 juillet 1985.

1) Qu’est-ce que la loi Badinter ?

La loi n° 85-677 du 05 juillet 1985 dite « loi Badinter » (du nom de Robert Badinter, alors Ministre de la Justice et ayant inspiré la rédaction de cette loi) a créé un régime spécial d’indemnisation des victimes d’accident de circulation.

Cette loi est née dans une période où le nombre de d’accidents mortels de la route et d’accidents corporels graves étaient extrêmement importants sans que le droit alors applicable ne permette d’indemniser correctement les victimes.

Son but premier était donc d’améliorer la situation des victimes d’accidents de la circulation et d’accélérer les procédures d’indemnisation.

L’objet cette loi n’est pas, contrairement aux régimes classiques de la responsabilité civile, de rechercher le responsable du dommage mais plutôt de désigner le débiteur de l’obligation d’indemnisation.

2) Quelles sont les conditions d’application de la loi Badinter ?

Pour que cette la loi Badinter ait vocation à s’appliquer, plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies :

  • Un accident de la circulation ;
  • Un véhicule terrestre à moteur ;
  • L’implication de ce véhicule dans l’accident.

La loi Badinter privilégie les victimes « non-conducteurs » (essentiellement les piétons, cyclistes et passagers transportés) ainsi que les victimes vulnérables (jeunes et personnes âgées) en leur permettant d’être indemnisées des dommages corporels subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute (sauf à ce que ce soit une faute volontaire ou une faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident).

La situation du conducteur victime est moins favorable dans la mesure où sa faute, même simple, a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis.

3) Quels étaient les faits à l’origine de cette décision ?

En l’espèce, une personne en situation de handicap (infirme moteur cérébral et souffrant d’une hémiplégie droite), ne pouvant se déplacer à l’extérieur qu’au moyen d’un fauteuil roulant électrique, a été victime d’un accident de la route.

L’assureur du véhicule qui l’a percutée refusait de l’indemniser de ses blessures subies à l’occasion de cet accident, au motif qu’elle aurait commis une faute exclusive de son droit à indemnisation.

La victime a donc saisi la justice d’une demande d’indemnisation de ses préjudices.

Le 30 janvier 2020, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a débouté la victime de l’accident de la circulation de sa demande d’indemnisation intégrale de ses préjudices en considérant qu’elle avait la qualité de conducteur d’un véhicule terrestre à moteur et qu’elle avait commis une faute.

La victime s’est donc pourvu en cassation.

4) Quelle était la question posée à la Cour de cassation ?

La question posée à la Cour de cassation était de savoir si un fauteuil roulant électrique pouvait, ou non, être considéré comme un véhicule terrestre à moteur, au sens de la loi du 05 juillet 1985.

De la réponse à cette question dépendait en effet celle de l’opposabilité de la faute commise par la victime de l’accident de la route et partant, de son droit à indemnisation.

En effet, comme évoqué ci-avant :

  • Les victimes conductrices de véhicules terrestres à moteur voient leur droit à indemnisation limité ou exclu lorsqu’elles ont commis une faute ;
  • Les victimes non conductrices de véhicules terrestres à moteur ne voient pas leur droit à indemnisation limité ou exclu lorsqu’elles ont commis une faute simple. Seule une faute volontaire ou une faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident peut leur être opposée.

Sur ce point, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait considéré qu’un fauteuil roulant électrique était bien un véhicule terrestre à moteur car il était « muni d’un système de propulsion motorisée, d’une direction, d’un siège et d’un dispositif d’accélération et de freinage, de sorte qu’il avait vocation à circuler de manière autonome ».

La victime contestait donc, devant la Cour de cassation, sa qualité de « conductrice d’un véhicule terrestre à moteur » et donc l’opposabilité de sa faute.

5) Le principe posé par la Cour de cassation

Aux termes de son arrêt du 06 mai 2021, la Cour de cassation a considéré qu’un fauteuil roulant électrique ne pouvait pas être assimilé à un véhicule terrestre à moteur, au sens de la loi Badinter.

En effet, la Cour de cassation estime qu’ayant instauré un « dispositif d’indemnisation sans faute » (par la loi Badinter), « le législateur, prenant en considération les risques associés à la circulation de véhicules motorisés, a entendu réserver une protection particulière à certaines catégories d’usagers de la route, à savoir les piétons, les passagers transportés, les enfants, les personnes âgées, et celles en situation de handicap ».

Et la Haute Juridiction de conclure « qu’un fauteuil roulant électrique, dispositif médical destiné au déplacement d’une personne en situation de handicap, n’est pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985 ».

De fait, si le fauteuil roulant électrique n’est pas un véhicule terrestre à moteur (au sens de la loi du 05 juillet 1985), celui qui l’utilise ne peut avoir la qualité de « conducteur » (toujours au sens de cette loi) et donc, se voir opposer sa faute simple.

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Face au silence ou à l’imprécision des textes, c’est à la Cour de cassation qu’il revient de préciser les choses ; ce qu’elle a fait en contribuant, par cette décision, à définir les contours de la notion de véhicule terrestre à moteur.

En l’espèce, en rappelant que la philosophie de la loi Badinter était notamment la protection de certaines catégories d’usagers de la route (piétons, passagers transportés, enfants, personnes âgées et celles en situation de handicap) et en relevant que le fauteuil roulant électrique est un dispositif médical dont l’objectif est de permettre le déplacement d’une personne handicapée, la Cour de cassation a marqué, une nouvelle fois, sa volonté de protéger les victimes (particulièrement vulnérables) d’accidents de la route.

Cette décision, qui va à l’encontre d’une application rigoriste de la définition du véhicule terrestre à moteur, est à saluer, notamment parce qu’elle elle fait primer la vulnérabilité de la victime sur la nature du moyen utilisé pour se déplacer.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.