Par un arrêt rendu le 10 octobre 2024 et publié au Bulletin (lien ici), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la possible prise en compte d’une faute commise par un élève d’auto-école dans le cadre d’un accident de la circulation.
1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?
Le 19 avril 2019, un moniteur d’auto-école a été victime d’un accident de la route.
Ce moniteur circulait au guidon d’une motocyclette et dispensait un cours de conduite à deux élèves qui le suivaient : l’un au volant d’une voiture et l’autre en motocyclette.
Pendant ce cours de conduite, le moniteur a été gravement blessé.
Dans un premier temps, il a été percuté de face par un camion arrivant en sens inverse.
Après la chute consécutive à ce premier accident corporel, l’élève qui le suivait en motocyclette lui a roulé sur la cheville.
Le dommage corporel du moniteur a été très important puisqu’il a du subir une amputation de la jambe gauche.
2) Quel a été le parcours procédural de cette affaire ?
Victime directe de cet accident de la circulation, le moniteur, souhaitant obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel a, dans un premier temps, assigné devant le Tribunal de grande instance la compagnie d’assurance du camion qui l’a percuté pour solliciter la réalisation d’une expertise médicale destinée à recenser ses postes de préjudice ainsi que le versement d’une provision.
Une fois assigné, l’assureur du camion a engagé une « action récursoire » contre la compagnie d’assurance des motocyclettes, propriétés de la société d’auto-école, et l’a donc attraite dans la procédure.
Dans un premier temps, l’assureur du camion a tenté de mettre en avant une faute de la victime qui aurait eu pour effet d’exclure (ou à tout le moins de limiter) son indemnisation mais il n’y est pas parvenu.
Il a alors tenté de se prévaloir d’une faute commise par l’élève co-auteur du dommage et a initié un recours subrogatoire contre l’assureur des motocyclettes.
Mais tant le jugement du Tribunal de grande instance que l’arrêt de la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE rendu le 08 décembre 2022 l’ont débouté de sa demande.
Cet assureur a alors initié un pourvoi en cassation.
3) Qu’est-ce qu’une action récursoire ?
Une action récursoire permet à celui qui a réparé (à l’amiable ou par condamnation) un dommage qu’il n’avait pas causé ou dont il n’était pas l’auteur exclusif, d’exercer ensuite un recours contre le véritable responsable afin d’obtenir remboursement total ou partiel des sommes versées.
Autrement dit, l’action récursoire permet à une personne tenue de réparer un dommage de se retourner contre une (ou plusieurs) autre(s) personne(s) pour partager la charge de l’indemnisation.
La « contribution à la dette » se fait à proportion des fautes commises par chacun ; en l’absence de faute prouvée, la contribution se fait à parts égales entre les différentes personnes tenues à indemnisation.
En l’espèce, l’assureur du camion a décidé d’engager une action récursoire à l’encontre de l’assureur de la motocyclette de l’auto-école pour ne pas se retrouver seul à payer l’indemnisation du moniteur victime de l’accident.
Le dommage de la victime a en effet été constitué :
- Tout d’abord parce qu’il a été percuté par le camion ;
- Ensuite parce que l’élève lui a ensuite roulé sur la cheville.
La compagnie d’assurance assignée par la victime a ainsi demandé à faire supporter une partie des dommages et intérêts par l’assureur de la motocyclette appartenant à l’auto-école dans le cadre d’une action récursoire.
4) Quelle était la question de droit soulevée par cette affaire ?
L’article L211-1 du Code des assurances prévoit que l’élève de l’auto-école est un « tiers ».
Aucune faute de conduite ne peut en principe lui être reprochée et seule la faute du moniteur d’auto-école peut être recherchée.
Partant de ce principe, l’assureur de la société d’auto-école estimait que l’action récursoire dirigée à son encontre ne pouvait pas prospérer, puisque la faute de l’élève ne pouvait pas être recherchée.
La Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE, par arrêt du 08 décembre 2022, a suivi cette argumentation.
Les Juges du fond ont en effet considéré que l’article L211-1 du Code des assurances s’opposait au recours subrogatoire en présence d’une faute commise par un élève d’auto-école dans la mesure où cet élève est un tiers et que sa faute ne peut pas être recherchée.
L’assureur du camion, débouté de son recours subrogatoire, a formé un pourvoi en cassation.
5) Quelle a été la position de la Cour de cassation ?
La Cour de cassation a considéré que le fait qu’un élève conducteur soit considéré comme un tiers ne fait pas obstacle à ce que soit recherchée une éventuelle faute de conduite dans le cadre d’un recours subrogatoire.
Cela signifie que lorsqu’un assureur dirige un recours subrogatoire à l’encontre d’un autre assureur pour que la dette soit partagée entre eux, la faute commise par un élève d’auto-école peut être recherchée, même si ce dernier est considéré comme un tiers.
La Cour de cassation reproche donc à la Cour d’appel d’avoir, par principe, exclu la faute de l’élève conducteur dans le cadre du recours en contribution à la dette.
6) Comment comprendre la décision de la Cour de cassation ?
A première vue, on pourrait estimer que cette décision est en contradiction avec les termes de l’article L211-1 du Code des assurances qui prévoit que l’élève de l’auto-école doit être considéré comme un tiers.
Tel n’est pas le cas.
Si cette disposition prévoit que l’élève est un tiers, c’est pour assurer sa propre protection lorsqu’il est lui-même victime d’un accident de la circulation.
La Loi BADINTER du 05 juillet 1985, qui organise le régime d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, précise que la faute du conducteur peut lui être opposée lorsqu’elle a contribué à la réalisation de son dommage.
En effet, par principe, une faute de conduite d’un conducteur peut venir réduire son indemnisation (si cette faute a contribué à la réalisation de son dommage), voire le priver de toute indemnisation (si cette faute est la cause exclusive de l’accident)
Mais cette disposition de la Loi Badinter ne peut pas être opposée à un conducteur qui est un élève en apprentissage et qui, de ce fait, ne dispose pas de toutes les compétences pour maîtriser parfaitement son véhicule.
Un élève en apprentissage ne dispose en effet pas des pouvoirs de commandement du véhicule qu’il conduit.
C’est donc uniquement lorsque l’élève de l’auto-école est un conducteur victime qu’il est considéré comme un tiers.
Mais lorsque cet élève conducteur est lui-même l’auteur d’un dommage et qu’il commet une faute de nature à engager sa responsabilité, tel n’est plus forcément le cas.
Lorsqu’une victime d’un accident de la circulation sollicite l’indemnisation de ses préjudices, elle le fait sur le fondement, relativement souple, de la Loi Badinter du 05 juillet 1985.
Mais dans le cadre d’une action récursoire entre assureurs, c’est le fondement, plus complexe dans sa mise en œuvre, de l’article 1240 du Code civil qui doit être utilisé.
Dans ce régime de responsabilité, il faut prouver l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux.
Ainsi, dans le cadre d’une action subrogatoire, l’assureur doit prouver qu’un autre conducteur a commis une faute qui a provoqué un dommage.
En rejetant par principe la faute de l’élève conducteur dans le cadre du recours en contribution à la dette, la Cour de cassation estime que la Cour d’appel méconnu ces dispositions.
On pourrait imaginer qu’en l’espèce l’élève conducteur a effectivement commis une faute puisqu’elle a mal maîtrisé la motocyclette qu’elle conduisait et a occasionné des blessures au moniteur qui avait déjà été percuté par le camion.
En l’espèce, il pourrait donc y avoir une faute de l’élève de l’auto-école en concurrence avec celle (avérée) du conducteur du camion.
Il faut retenir de cette décision que l’élève conducteur d’une auto-école, dans son propre intérêt et pour assurer son indemnisation en cas d’accident lorsqu’il est lui-même victime, est protégé, car considéré comme un tiers : sa propre faute ne peut alors pas lui être reprochée.
En revanche, lorsque c’est lui qui cause un dommage à un tiers, en concurrence avec un autre conducteur fautif, sa responsabilité peut être recherchée dans le cadre d’une action récursoire.
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