Rappel de la définition du préjudice d’agrément (Cass. 1ère Civ. 26 juin 2024)

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Aux termes d’un arrêt (inédit) rendu le 26 juin 2024 (lien ici), la Première chambre civile de la Cour de cassation rappelle les contours de la définition du préjudice d’agrément.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Le 14 juin 2016, à la suite de la réalisation d’un examen médical, un homme est victime d’un accident vasculaire cérébral ischémique embolique et conserve d’importantes séquelles.

Souhaitant obtenir l’indemnisation de ses préjudices, la victime initie, dans un premier temps, une procédure de règlement amiable.

L’expertise médicale réalisée permet de reconnaître l’existence d’un accident médical grave, indemnisable au titre de la solidarité nationale.

Face à l’échec de la procédure amiable, il assigne finalement L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) afin d’obtenir l’indemnisation de ses différents postes de préjudices.

La question de l’existence (et par voie de conséquence de l’indemnisation) de son préjudice d’agrément, a été largement débattue dans cette affaire.

2) Qu’est-ce que le préjudice d’agrément ?

Le préjudice d’agrément vise à réparer le préjudice lié à l’impossibilité pour une victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive, de loisirs ou d’agrément.

A la suite d’un évènement traumatique (accident de la route, accident de sport, agression, accident de la vie, erreur médicale, etc.), la victime d’un dommage corporel peut, en raison des séquelles dont elle est victime, se retrouver dans l’impossibilité de reprendre les activités sportives, de loisirs ou d’agrément qui étaient les siennes antérieurement.

Ce n’est pas seulement l’impossibilité générale de pratiquer toute activité sportive, de loisirs ou d’agrément qui est indemnisable, mais aussi le fait d’être privé de la possibilité de pratiquer les activités particulières, spécifiques, qui étaient effectivement celles de la victime avant son accident corporel.

Pour que le préjudice d’agrément soit indemnisé, la victime doit démontrer qu’elle pratiquait, avant cet évènement traumatique, une ou plusieurs activité(s) spécifique(s).

Il faut donc que la victime rapporte la preuve de ce qu’elle pratiquait effectivement telle ou telle activité avant l’accident.

Il s’agit d’une preuve qui peut être rapportée par tous moyens et l’appréciation de ce poste de préjudice s’effectue in concreto en fonction des justificatifs fournis par la victime mais également de différents paramètres : âge, niveau sportif, fréquence de l’activité, etc.

Notons que si l’activité spécifique de sport, de loisirs ou d’agrément est pratiquée dans le cadre d’un club ou d’une association, le préjudice d’agrément est généralement mieux indemnisé.

Dans ce cas, la victime pourra démontrer la pratique antérieure de son ou de ses activité(s) par la production d’une licence sportive, la preuve d’une affiliation ou d’une inscription à un établissement ou encore par la communication des résultats de ses participations à des compétitions.

Mais la reconnaissance (et donc l’indemnisation) du préjudice d’agrément n’est pas conditionnée à l’affiliation à un club ou à une association ; la démonstration de la pratique habituelle d’une activité sportive, de loisirs ou d’agrément antérieure à l’évènement traumatique est suffisante.

Par un arrêt du 13 février 2020, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que la pratique sportive « amicale » ouvre droit à indemnisation au titre du préjudice d’agrément (Cass. 2ème Civ. 13 février 2020, n° 19-10.572).

Voir notre analyse de cette décision ici

Dans cette situation, la victime pourra alors démontrer cette pratique antérieure par la production d’attestations de témoins, de photographies, de publications sur les réseaux sociaux, etc.

Notons également que le préjudice d’agrément ne concerne pas que les activités sportives mais également les activités de loisirs ou d’agrément telles que les activités ludiques (jeux, couture, jardinage, bricolage, etc.) ou les activités culturelles (expositions, musées, théâtre, etc.).

Les activités visées par le préjudice d’agrément sont en général des activités qui sont pratiquées régulièrement et qui sont nécessaires à l’équilibre et au bien-être de la personne.

L’expertise médicale permettra de déterminer si, compte tenu des séquelles présentées par une victime après la consolidation de son état de santé, cette dernière sera ou non en mesure de continuer à pratiquer ses anciennes activités « comme avant ».

3) Quelle était la question débattue dans cette affaire ?

En l’espèce, la victime pratiquait régulièrement le golf avant son accident vasculaire.

Après cet accident, elle pouvait toujours jouer au golf, mais elle ne pouvait plus pratiquer cette activité dans les mêmes conditions qu’avant.

La victime jouait en effet de façon moins assidue et avait des résultats moins pertinents.

La question était donc en l’espèce de savoir si le préjudice d’agrément, alors que la victime n’était manifestement pas dans l’impossibilité totale de pratiquer son activité sportive spécifique antérieure, était ou non caractérisé.

4) Quelle a été la décision rendue par la Cour d’appel ?

La Cour d’appel de GRENOBLE, dans un arrêt du 21 février 2023, a refusé d’indemniser le préjudice d’agrément de la victime.

Les Juges du fond ont considéré (comme le Tribunal judiciaire antérieurement) que le préjudice d’agrément de la victime n’était pas démontré puisque cette victime pouvait toujours pratiquer le golf.

La Cour d’appel a ainsi considéré que pour être indemnisé, le préjudice d’agrément devait être total ; autrement dit, que la victime soit dans l’impossibilité absolue de reprendre la pratique de son activité sportive antérieure.

Pour les Juges de la Cour d’appel, dès lors que la victime pouvait toujours pratiquer le golf après son accident, elle ne souffrait d’aucun préjudice d’agrément.

5) Comment la Cour de cassation a-t-elle apprécié la situation ?

La Cour de cassation a censuré cette décision au visa de l’article 1240 du Code civil et du principe de la réparation intégrale du préjudice.

La Haute juridiction rappelle que le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs et que ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure de cette pratique.

Il suffit, pour que le préjudice d’agrément soit retenu, que la victime ne puisse pas reprendre son activité sportive, de loisirs ou d’agrément dans les mêmes conditions qu’elle la pratiquait avant l’évènement traumatique.

En l’espèce, ce joueur de golf ne pouvait plus jouer aussi souvent qu’auparavant et ses résultats étaient moins bons, de sorte que l’évènement traumatique dont il a été victime a bien eu une incidence sur la pratique de son activité sportive.

Son préjudice d’agrément devait donc être indemnisé.

6) Cette décision est-elle isolée ?

Non, il s’agit d’une décision qui s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence constante sur le sujet.

La Cour de cassation a déjà, à de très nombreuses reprises, retenu que la simple limitation de la pratique antérieure d’une activité sportive, de loisirs ou d’agrément suffisait à caractériser le préjudice d’agrément d’une victime.

Le 29 mars 2018, la Cour de cassation avait déjà considéré que la limitation de la pratique antérieure entraînait l’indemnisation du préjudice d’agrément (Cass. 2ème Civ. 29 mars 2018, n° 17-14.499).

Voir notre analyse de cette décision ici

Toujours dans la même veine, nous avions commenté, début 2021, un arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 2020 dont les conclusions étaient identiques (Cass. 2ème Civ. 22 octobre 2020, n° 19-15.951).

Voir notre analyse de cette décision ici

Pour être complet sur ce point, il convient de rappeler que la Haute juridiction retient également que l’impossibilité psychologique de reprendre une activité sportive ou de loisirs suffit à établir l’existence d’un préjudice d’agrément indemnisable (Cass. 2ème Civ. 05 juillet 2018, n° 16-21.776).

Voir notre analyse de cette décision ici

Il s’agit notamment (et fréquemment) du cas des motards qui, après un grave accident de la circulation et alors qu’ils étaient passionnés par la moto, ne peuvent plus, pour des raisons purement psychologiques, remonter sur leur engin.

La décision de la Première chambre civile de la Cour de cassation s’inscrit donc dans un courant jurisprudentiel maintenant bien établi, qui considère que même si la victime peut reprendre son activité sportive, de loisirs ou d’agrément antérieure, le fait qu’elle le fasse dans des conditions plus difficiles, justifie l’existence d’un préjudice d’agrément (et donc son indemnisation).

Les compagnies d’assurance (ou autres entités chargées d’indemniser les victimes comme en l’espèce l’ONIAM) demeurent toutefois souvent très réfractaires à l’idée d’indemniser le préjudice d’agrément des victimes en considérant que seul le préjudice d’agrément « total » peut être indemnisé, ce qui ne correspond pas à l’analyse de la Cour de cassation de ce poste de préjudice.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.