Par un arrêt rendu le 28 juin 2024 et publié au bulletin (lien ici), l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant la responsabilité civile des parents séparés.
1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?
Un enfant mineur âgé de 17 ans a volontairement provoqué plusieurs incendies dans des bois situés dans les environs de MARSEILLE, occasionnant par là-même de lourds préjudices.
Poursuivi pour les infractions commises, ce mineur a été condamné pénalement par le Tribunal pour enfants et déclaré coupable des faits de destruction volontaire par incendie.
Les victimes de cet incendie ont demandé l’indemnisation de leurs préjudices.
Précisons que suite au divorce de ses parents et dans le cadre d’un exerce conjoint de l’autorité parentale, la résidence habituelle de cet enfant avait été fixée au domicile de sa mère et des droits de visite et d’hébergement avaient été attribués à son père.
Dans cette affaire, c’est la question de la responsabilité civile des parents séparés qui a fait l’objet d’âpres débats et a finalement abouti à un revirement de jurisprudence.
2) Qu’est-ce que la responsabilité civile des parents d’un enfant mineur ?
Par principe, chacun est responsable de son propre fait.
Mais par exception, on peut aussi être tenu responsable des dommages causés par les personnes dont on doit répondre ou bien des choses que l’on a sous sa garde.
Lorsqu’un enfant mineur cause un dommage à un tiers, ce sont ses parents qui doivent réparer, notamment financièrement, les conséquences de ses agissements.
L’article 1242 du Code civil prévoit en effet que :
« Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».
Il s’agit d’une responsabilité sans faute des parents cotitulaires de l’exercice de l’autorité parentale.
Cela signifie qu’ils ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité au seul motif qu’ils n’auraient commis aucune faute.
Seule la force majeure, la cause étrangère ou la faute de la victime pourraient être de nature à leur permettre de s’exonérer de leur responsabilité.
3) Quel a été le parcours procédural de cette affaire ?
En première instance, les deux parents divorcés ont été reconnus civilement responsables des agissement commis par leur enfant mineur et ont donc tous deux été tenus de réparer les conséquences des incendies.
Le père du jeune mineur a interjeté appel de cette décision en mettant en avant le fait qu’il ne bénéficiait que de simples droits de visite et d’hébergement ; la résidence habituelle de l’enfant ayant été fixée chez la mère de ce dernier.
En cause d’appel, l’argumentation du père a reçu un écho favorable et la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE a considéré que dans la mesure où son fils ne résidait pas avec lui en raison de la séparation, sa responsabilité civile ne pouvait être engagée.
La mère du jeune mineur et son assureur ont alors formé un pourvoi en cassation.
La Haute Juridiction a finalement considéré que les deux parents devaient réparer les conséquences des dommages causés par leur fils mineur quand bien même le père de l’enfant ne bénéficiait que de simples droits de visite et d’hébergement.
4) Comment la responsabilité civile des parents était elle appréciée jusqu’à présent ?
L’article 1242 du Code civil a une rédaction ambiguë puisque :
- D’une part, il évoque une responsabilité automatique des parents en tant qu’ils exercent l’autorité parentale ;
- D’autre part, il évoque les dommages causés par l’enfant mineur habitant avec ses parents.
Or, en cas de séparation des parents, la notion de « résidence » de l’enfant peut devenir floue.
S’agissant de l’autorité parentale, il s’agit d’un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.
L’article 371-1 du Code civil dispose notamment que l’autorité parentale appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement; dans les respect dû à sa personne.
L’article 373-2 du même Code précise que la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale.
Cela signifie que lorsque les parents sont séparés, ils doivent continuer, ensemble, à prendre les décisions importantes pour la vie de leur enfant mineur, en l’y associant, en fonction de son âge, et doivent le guider.
Si la séparation des parents n’a aucune incidence sur l’exercice conjoint de l’autorité parentale, elle a évidemment une incidence sur la notion de « garde de l’enfant ».
La seconde partie de l’article 1242 du Code civil laisse penser qu’en cas de séparation, seul le parent chez qui réside l’enfant mineur peut voir sa responsabilité civile engagée et être ainsi contraint de réparer les conséquences des dommages causés par ce dernier.
C’est en ce sens que, jusqu’à présent, l’article précité s’interprétait.
Dans son arrêt du 28 juin 2024, la Cour de cassation expose qu’elle a, à plusieurs reprises, considéré que la condition de cohabitation n’était remplie qu’à l’égard du parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant avait été fixée par un juge.
Il en résultait que la responsabilité d’un dommage causé par son enfant mineur lui incombait entièrement, quand bien même l’autre parent, bénéficiaire d’un droit de visite et d’hébergement, exerçait conjointement l’autorité parentale et que le fait dommageable avait eu lieu pendant l’exercice de ce droit.
L’affaire qui nous occupe a amené la Cour de cassation à considérer que cette interprétation n’était plus satisfaisante car devenue inadaptée à l’évolution de la société et des pratiques familiales.
5) Quelle est la motivation retenue par la Cour de cassation ?
Dans un premier temps, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation expose que cette interprétation classique est de nature à susciter des difficultés dans les situations, de plus en plus fréquentes, où les enfants résident alternativement chez l’un et l’autre des parents ou encore celles où ces derniers conviennent du lieu de résidence des enfants sans saisir le Juge.
En effet, si un enfant mineur est accueilli par ses deux parents dans le cadre d’une résidence alternée, il est difficile d’appliquer l’article 1242 du Code civil à la lettre et de déterminer avec lequel de ses parents il réside.
De la même manière, dans l’hypothèse où les parents se séparent sans faire encadrer la situation par le Juge aux affaires familiales, la résidence de l’enfant n’est pas clairement fixée chez l’un ou chez l’autre parent et il est, là encore, difficile d’avoir une lecture stricte des dispositions de l’article 1242 du Code civil en partant du principe que c’est le parent chez lequel l’enfant réside qui assumera les conséquences de ses agissements.
Dans un second temps, la Cour de cassation rappelle que certaines juridictions écartaient la règle de l’article 1242 du Code civil en déterminant le lieu où résidait l’enfant au moment précis du dommage.
Ainsi, si un enfant résidait habituellement chez l’un de ses parents mais qu’il était accueilli par l’autre dans le cadre d’un droit de visite et d’hébergement et qu’il commettait un fait dommageable à l’occasion de l’exercice de ce droit, il pouvait alors être envisagé que ce soit la responsabilité de ce parent qui se retrouve engagée.
Mais cette solution contraignait les Juges à étudier, au cas par cas, la situation précise de l’enfant au moment du dommage.
La Cour de cassation a donc décidé de retenir qu’en cas de dommage causé par l’enfant mineur, la responsabilité civile des deux parents sera engagée dès lors qu’ils exercent conjointement l’autorité parentale.
Pour qu’un parent voit sa responsabilité civile engagée, il ne sera donc plus nécessaire de faire le constat que l’enfant habite avec lui au moment de la commission du dommage.
Seule la question de l’exercice de l’autorité parentale importera désormais.
Une exception demeure malgré tout : cette solution n’aura pas vocation à s’appliquer lorsque l’enfant aura été confié à un tiers par une décision administrative ou judiciaire.
La Cour de cassation justifie ce revirement de jurisprudence par plusieurs facteurs.
D’une part, elle considère qu’il est indispensable de promouvoir la coparentalité (qui est l’un des objectifs de la Loi du 04 mars 2002) et qu’il est illogique de décharger un parent de sa responsabilité au seul motif qu’il n’exerce que de simples droits de visite et d’hébergement sur son enfant.
En effet, les deux parents se doivent d’éduquer et d’accompagner leur enfant afin d’éviter la commission de faits dommageables.
Exonérer automatiquement le parent qui ne bénéficie que de droits de visite et d’hébergement pourrait aboutir à un désengagement de ce dernier.
D’autre part, l’Assemblée Plénière explique que l’ancienne interprétation donnée à l’article 1242 du Code civil se concilie imparfaitement avec l’objectivation progressive de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, qui permet notamment une meilleure indemnisation des victimes.
En effet, la victime des faits dommageables ne doit pas être privée de la possibilité de réclamer la réparation de son dommage auprès des deux parents au seul motif que ceux-ci sont séparés et que l’enfant ne réside qu’avec l’un d’eux.
C’est donc une responsabilité civile automatique des deux parents qui, en cas de dommage causé par leur enfant mineur, est instaurée par la Cour de cassation, ce qui va grandement faciliter les demandes indemnitaires des victimes.
En effet, dans la majorité des cas, c’est l’assurance responsabilité civile des parents qui prend en charge les réparations.
A cet égard, l’article L121-2 du Code des assurances dispose que « L’assureur est garant des pertes et dommages causés par des personnes dont l’assuré est civilement responsable en vertu de l’article 1242 du code civil, quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes ».
Cette disposition renforce les droits des victimes qui pourront ainsi se retourner contre les assureurs des deux parents.
Mais avec ce revirement de jurisprudence, un risque assurantiel pourrait également survenir.
Il est en effet probable que certains contrats d’assurance vont refuser de couvrir la responsabilité civile du parent n’ayant qu’un droit de visite et d’hébergement et non la résidence effective de l’enfant mineur au moment où celui-ci commet le fait dommageable.
Pour éluder cette potentielle difficulté, le législateur pourrait devoir intervenir pour couvrir l’extension opérée par la Haute Juridiction.
N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.