Aux termes d’un arrêt en date du 30 juin 2021 (lien ici), publié au bulletin, la première Chambre civile de la Cour de cassation apporte des précisions sur les préjudices indemnisables au titre de la solidarité nationale, subis par la victime indirecte et notamment, le préjudice sexuel.
1) Quels sont les faits de l’espèce ?
Le 15 juillet 2009, après avoir été victime d’un AVC, une femme âgée de 69 ans a bénéficié de la mise en place d’un stimulateur cardiaque.
Quelques semaines plus tard, à la suite de la réalisation d’un drainage péricardique au cours duquel la perforation d’un ventricule et une plaie pariétale sont survenues, cette femme a présenté plusieurs complications ayant entraîné un taux d’incapacité permanente de 90 %.
Elle est ensuite décédée en 2014, après avoir saisi la Commission Régionale de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux de l’indemnisation de ses préjudices.
2) Quel a été le parcours procédural de l’affaire ?
Estimant que leur épouse/mère avait été victime d’un accident médical non fautif grave à l’origine de son décès, son époux et leurs enfants, agissant tant à titre personnel qu’en leur qualité d’ayants-droit, ont assigné l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales).
L’indemnisation de leurs préjudices a été mise à la charge de la solidarité nationale sur le fondement de l’article L 1142-1, II du Code de la santé publique.
Par un arrêt en date du 23 mai 2019 rendu par la Cour d’appel de PARIS, l’ONIAM a été condamné à payer à ces ayants-droit, diverses indemnités, dont une somme de 5.000 € au profit de l’époux, au titre de son préjudice sexuel, subi par ricochet.
L’ONIAM s’est alors pourvu en cassation estimant que le préjudice sexuel subi par ricochet ne constituait pas un préjudice ouvrant droit à réparation par la solidarité nationale.
3) Qu’est-ce que le préjudice sexuel ?
Parmi les séquelles potentiellement subies par la victime d’un évènement traumatique (accident de la route, erreur médicale, agression, accident de la vie, accident de sport, etc.), figure le préjudice sexuel.
Selon la nomenclature DINTILHAC, le préjudice sexuel implique :
- Le préjudice morphologique lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires ;
- Le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel ;
- Le préjudice lié à une impossibilité ou à une difficulté à procréer.
La nomenclature DINTILHAC livre donc une définition large et complète du préjudice sexuel, reprise par la Cour de cassation qui le définit comme une atteinte sous toutes ses formes à la vie sexuelle (Cass. 2ème Civ. 17 juin 2010, n° 09-15.842).
Bien que ce poste de préjudice donne généralement lieu à de faibles indemnisations, la Haute juridiction le caractérise avec beaucoup de souplesse et le reconnaît notamment, pour la victime directe, en cas de « gênes positionnelles » (Cass. 2ème Civ. 04 avril 2019, n° 18-13.704) ;
Précisons que le préjudice sexuel est un préjudice permanent, c’est-à-dire un préjudice dont la victime souffre encore après la consolidation de son état de santé.
Le préjudice sexuel « temporaire » reste compris dans le poste de préjudice « déficit fonctionnel temporaire » qui a vocation à réparer la perte de la qualité de vie de la victime et des joies usuelles de la vie courante pendant la maladie traumatique.
4) Quel problème juridique était soumis à la Cour de cassation ?
Si la caractérisation du préjudice sexuel chez la victime directe (celle ayant directement et personnellement subi le dommage) ne pose généralement pas de problème, il en va différemment pour la victime indirecte (le conjoint).
De fait, au-delà de la question de savoir si le préjudice sexuel de la victime indirecte pouvait faire partie des préjudices indemnisables au titre de la solidarité nationale, la Cour de cassation était indirectement amenée à clarifier les règles relatives à l’indemnisation du préjudice sexuel de la victime indirecte en cas de survie ou en cas de décès de la victime directe.
5) Quelle est la solution retenue par la Cour de cassation ?
La Cour de cassation énonce tout d’abord, au nom du principe de la réparation intégrale des préjudices, que « (…) le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, peut être éprouvé par ricochet par le conjoint de la victime directe qui, à la suite du fait dommageable, subit elle-même un tel préjudice ».
Mais estimant qu’en l’espèce, la Cour d’appel de PARIS avait violé les dispositions de l’article L 1142-1, II du Code de la santé publique, la haute juridiction, censurant l’arrêt rendu par ladite Cour précise « dans le cas d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale sur le fondement du texte susvisé, les préjudices de la victime indirecte éprouvés du vivant de la victime directe n’ouvrent pas droit à réparation », avant d’ajouter « et les conséquences personnelles éprouvées par la victime indirecte, à la suite du décès de son conjoint, telles que la privation de relations sexuelles avec lui, sont indemnisées au titre du préjudice d’affection ».
Cet arrêt permet donc de clarifier les choses concernant l’indemnisation du préjudice sexuel éprouvé, par ricochet, par le conjoint de la victime directe du vivant de celle-ci ou bien après son décès.
La Cour de cassation confirme que le préjudice sexuel de la victime par ricochet n’est indemnisable, au titre de la solidarité nationale, qu’en cas de décès de la victime directe.
La difficulté réside dans le fait que la nomenclature DINTILHAC ne mentionne pas expressément le préjudice sexuel des victimes indirectes.
La Cour de cassation précise donc qu’il doit alors se rattacher au préjudice d’affection.
C’est ainsi que la Cour de cassation a considéré qu’en l’espèce, la Cour d’appel ne pouvait, de manière autonome, indemniser le préjudice sexuel de l’époux suite au décès de sa femme dans la mesure où il avait déjà été indemnisé de son préjudice d’affection (lequel comprenait donc son préjudice sexuel).
En cas de survie de la victime directe (et sauf si l’indemnisation repose sur le fondement de l’article L 1142-1, II du Code de la santé publique précité), le préjudice sexuel par ricochet est rattaché aux préjudices extrapatrimoniaux exceptionnels.
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