Par un arrêt rendu le 30 novembre 2023 et publié au Bulletin (lien ici), la Cour de cassation apporte des précisions sur l’articulation du régime juridique de la loi Badinter et celui de la responsabilité civile extracontractuelle.
1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?
Le 29 mars 2012, un cycliste a été renversé par un autre cycliste qui circulait derrière lui, au moment où un camion les a dépassés.
Le camion dont il s’agit et son conducteur n’ont jamais pu être identifiés.
Le cycliste blessé a engagé, sur le fondement de la responsabilité civile de droit commun, une procédure à l’encontre du cycliste l’ayant fait chuter afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices.
2) Qu’est-ce que la responsabilité civile de droit commun ?
L’article 1240 du Code civil dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Chacun est ainsi responsable du dommage qu’il a causé par son propre fait, par sa négligence ou par son imprudence.
Ce régime de responsabilité a été étendu à la responsabilité du fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l’on a sous sa garde.
Pour engager la responsabilité civile d’une personne, il faut démontrer une faute de sa part, un préjudice qui en découle et un lien de causalité entre les deux.
Dans l’affaire qui nous intéresse, le cycliste ayant subi un dommage corporel a engagé la responsabilité civile du cycliste qui circulait derrière lui et qui l’a fait chuter.
3) Quel a été le parcours procédural de cette affaire ?
La Cour d’appel de LYON, aux termes d’un arrêt rendu le 04 janvier 2022, a considéré que le régime de la responsabilité civile de droit commun ne pouvait pas s’appliquer puisqu’il s’agissait en réalité d’un accident de la circulation, régi par les dispositions spécifiques de la Loi Badinter du 05 juillet 1985.
Le régime juridique instauré par cette loi avait pour but d’améliorer la situation des victimes d’accidents de la circulation et d’accélérer les procédures d’indemnisation.
En l’occurrence, il ne fait aucun doute qu’un accident entre deux cyclistes n’a pas vocation à être régi par les dispositions de la Loi Badinter.
Et pour cause ! Cette Loi s’applique en présence d’un accident de la route impliquant un véhicule terrestre à moteur, ce qui n’est évidemment pas le cas d’une bicyclette.
Mais la subtilité de notre cas d’espèce réside dans le fait qu’un véhicule terrestre à moteur (le camion) était « impliqué » dans cet accident corporel puisque, juste avant la collision entre les deux cyclistes, ledit camion venait de les doubler.
Pour que la Loi Badinter ait vocation à s’appliquer, il suffit qu’un véhicule à moteur soit impliqué, même s’il n’a pas eu un rôle actif dans la survenance de l’accident et qu’il n’a pas heurté un autre véhicule (voir notamment ici notre actualité du 30 avril 2023 sur la notion d’implication dans le cadre d’un accident complexe).
La Cour d’appel a donc considéré que la Loi Badinter, qui est d’ordre public, devait s’appliquer et que l’action du cycliste victime ne pouvait pas être dirigée contre le cycliste qui l’avait percuté.
Dans cette hypothèse, et dans la mesure où le camion n’a pas été identifié, c’est au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) d’indemniser la victime (le fait que le camion ne soit pas identifié empêchant naturellement que son assurance puisse être mobilisée).
Le Fonds de garantie indemnise en effet la victime d’un accident lorsque le conducteur responsable n’est pas assuré ou lorsque le conducteur et son assureur n’ont pas pu être identifiés.
La Cour d’appel estimait donc que dans cet accident, c’est au donc au Fonds de garantie qu’il appartenait d’indemniser la victime, estimant par là-même que celle-ci ne pouvait invoquer que la Loi Badinter au soutien de sa demande d’indemnisation de ses préjudices.
4) Quel est l’enjeu de cette affaire ?
C’est le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages qui a décidé de former un pourvoi en cassation.
La question posée à la Cour de cassation était celle de savoir si, à l’occasion d’un accident survenu entre deux cyclistes mais en présence d’un camion qui venait d’effectuer un dépassement, la victime devait fonder sa demande d’indemnisation sur le régime de la responsabilité de droit commun (à l’encontre du cycliste et de son assureur) ou sur le fondement de la Loi Badinter (à l’encontre du Fonds de garantie en l’absence d’assureur identifié du véhicule impliqué).
5) Quelle a été la décision de la Cour de cassation ?
La Cour de cassation a censuré la décision rendue par la Cour d’appel.
La Haute juridiction a retenu que si les dispositions de la Loi du 05 juillet 1985 relative à l’indemnisation des victimes d’accident de la circulation sont d’ordre public, elles n’excluent pas l’application des dispositions relatives à la responsabilité civile de droit commun à l’encontre de toute personne autre que des conducteurs ou des gardiens de véhicules terrestres à moteur impliqués dans l’accident.
La Cour de cassation confirme donc que la victime pouvait demander, sur le fondement de la responsabilité civile de droit commun, la réparation de son préjudice au cycliste qui l’avait fait chuter (et à l’assureur de ce dernier).
Le caractère d’ordre public de la loi Badinter ne l’est uniquement qu’en ce qui concerne les conducteurs ou gardiens d’un véhicule terrestre à moteur.
Si l’accident a été causé par une personne qui n’était ni conductrice, ni gardienne d’un véhicule terrestre à moteur, la victime est donc fondée à diriger son action contre la personne responsable de l’accident, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile.
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