Aux termes d’un arrêt rendu le 21 décembre 2023 et publié au bulletin (lien ici), la Cour de cassation s’est prononcée sur l’appréciation de la notion de « faute inexcusable » dans un accident de la circulation impliquant un véhicule et un skateur.
1) Quels sont les faits et le parcours procédural de cette affaire ?
Le 21 août 2017, un jeune homme âgé de 18 ans est décédé après avoir été heurté par un véhicule alors qu’il se déplaçait sur un skate-board et s’était élancé du haut d’une voie de circulation.
Il est apparu que le véhicule impliqué dans cet accident corporel n’était pas assuré.
Les proches du jeune homme décédé ont donc sollicité l’indemnisation de leurs préjudices devant le Fonds d’indemnisation des assurances obligatoires de dommages (FGAO), compétent pour accorder une indemnisation aux victimes d’accidents notamment lorsqu’aucune assurance n’est susceptible d’être mobilisée.
La Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, par un arrêt du 10 février 2022, a rejeté les demandes présentées par les proches du jeune homme en retenant que ce dernier avait commis une faute inexcusable à l’origine de son décès, excluant par là-même tout droit à indemnisation.
Les ayants droit de la jeune victime ont alors formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision.
2) Comment sont indemnisés les préjudices résultant d’un accident de la circulation ?
Les victimes d’un accident de la route, qu’elles soient conductrices ou non conductrices, sont indemnisées sur le fondement de la loi n° 85-677 du 05 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation (dite « loi BADINTER »).
Il s’agit là d’un régime spécial, dérogatoire au droit commun de la responsabilité civile.
Pour que ce régime dérogatoire puisse s’appliquer, l’article 1er de la loi BADINTER impose que l’accident implique un véhicule terrestre à moteur et cause un dommage imputable à cet accident.
L’article 3 de cette loi pose également le principe de l’inopposabilité de la faute de la victime non conductrice ; principe qui connaît 2 exceptions :
– La recherche volontaire du dommage (par exemple, le suicide) ;
– La faute inexcusable de la victime, cause exclusive de l’accident (sauf pour certaines victimes dites protégées : celles âgées de moins de 16 ans ou de plus de 70 ans).
C’est cette seconde exception qui nous intéresse au cas présent.
3) Que recouvre la notion de faute inexcusable de la victime ?
La notion de faute inexcusable de la victime n’a pas été définie par la Loi.
La Cour de cassation l’a définie comme la « faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Cass. Ass. Plé. 10 novembre 1995, n° 94-13912).
Ainsi, la faute inexcusable du non-conducteur (piéton, cycliste, skateur, etc.) peut lui être opposée pour la priver de son droit à indemnisation.
Par exemple, constitue une faute inexcusable celle du piéton qui, de nuit, traverse une autoroute après avoir franchi 3 glissières de sécurité (Cass. 2ème Civ. 13 février 1991, n° 89-10054) ou celle du piéton qui, de nuit et en état d’ébriété, s’est allongé au milieu d’une voie de circulation fréquentée et non éclairée (Cass. 2ème Civ. 28 mars 2013, n° 12-14522).
La caractérisation de la faute inexcusable d’un non-conducteur dépend donc avant tout des circonstances de l’accident mais il convient de préciser qu’il s’agit là d’hypothèses extrêmement rares.
Précisons également qu’outre son exceptionnelle gravité, la faute du non conducteur doit également être la cause exclusive de l’accident pour être retenue comme étant « inexcusable » et la priver de son droit à indemnisation.
Précisons enfin qu’en cas de décès de la victime, la faute inexcusable de cette dernière peut être opposée à ses proches pour les priver de leur droit à indemnisation.
S’agissant de la victime conductrice, rappelons que sa faute (et pas seulement sa faute inexcusable) peut lui être opposée, de nature à réduire son droit à indemnisation ou à l’en priver.
4) Pourquoi la Cour d’appel a-t-elle retenu l’existence d’une faute inexcusable commise par le skateur ?
La Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE a précisé qu’il ressortait du dossier que le jeune homme « évoluait sur une planche à roulettes, à très vive allure, dans une rue à forte déclivité, sans avoir arrêté sa progression en bas de cette rue, (à la différence des quatre skateurs qui l’accompagnaient), dans une ville très touristique, au mois d’août, à une heure de forte circulation, en étant démuni de tout système de freinage ou d’équipement de protection ».
L’arrêt précise également que la victime s’est élancé « sans égards pour la signalisation lumineuse présente à l’intersection située au bas de la rue ni pour le flux automobile perpendiculaire à son axe de progression ».
Ainsi, la Cour d’appel a relevé de nombreux éléments laissant penser que le comportement adopté par le jeune skateur constituait une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité l’exposant sans raison valable à un danger dont il aurait dû avoir conscience :
- L’absence de dispositif de freinage ;
- L’absence d’équipement de protection ;
- La vitesse excessive, qui plus est dans une rue à forte pente ;
- Une désinvolture à l’égard du lieu (très fréquenté) et du flux important de véhicules présents ;
- Le mépris de la signalisation lumineuse ;
Par son attitude, la jeune victime aurait ainsi commis une faute inexcusable privant ses ayants droit de leur droit à indemnisation.
5) Quelle a été la décision adoptée par la Cour de cassation ?
La Cour de cassation a rendu sa décision au visa de l’article 3 de la Loi du 05 juillet 1985 qui prévoit que :
« Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exclusion de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident ».
La Haute juridiction rappelle ainsi sa définition « classique » de la faute inexcusable caractérisée, selon elle, par la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.
La Cour de cassation, reprenant toutes les constatations de la Cour d’appel, a cependant considéré que les éléments relevés ne caractérisaient pas l’existence d’une faute inexcusable.
Le comportement du jeune homme a certes, été très imprudent, mais il ne revêt pas pour autant le caractère d’ « exceptionnelle gravité » exigé pour la caractérisation d’une telle faute.
Il est par ailleurs permis de penser que le jeune âge de la victime n’est pas étranger à la mansuétude de la Haute Juridiction.
En tout état de cause, la solution retenue en l’espèce par la Cour de cassation n’est nullement surprenante tant il est rare de la voir retenir l’existence d’une faute inexcusable de la victime non conductrice.
La conception très restrictive de la faute inexcusable permet aux non conducteurs de continuer à bénéficier d’une forte protection, ce que nous ne pouvons qu’approuver.
N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.