Indemnisation d’une victime mineure brûlée par des cierges dans une basilique (Cass. Civ. 2ème 15 février 2024)

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Aux termes d’un arrêt rendu le 15 février 2024 et publié au bulletin (lien ici), la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur les modalités de l’indemnisation d’une victime, mineure à l’époque des faits, gravement brûlée par des cierges dans une basilique.

1) Quels sont les faits et le parcours procédural de cette affaire ?

Le 12 janvier 2011, une fillette de 12 ans qui se trouvait à la basilique de SAINT-DENIS (93) à proximité de cierges a été grièvement brûlée après que ses vêtements ont pris feu.

Alors que cette jeune fille priait pour la mère malade de l’une de ses amies, le gilet qu’elle portait s’est enflammé au contact d’un porte veilleuses (bougies enfermées dans des récipients) placé derrière elle.

Aucun extincteur n’ayant été trouvé dans le bâtiment, un homme a tenté d’éteindre le feu avec son manteau.

Les dommages corporels de cette jeune fille ont été extrêmement graves et ont entraîné des séquelles très importantes.

L’expertise médicale subie par la victime a notamment évalué le déficit fonctionnel permanent à 45 % (dont 10 % sur le seul plan psychique, en raison d’un syndrome anxiodépressif).

La mère de la jeune fille a, dans un premier temps, déposé une main courante auprès du Commissariat de Police.

Puis, le 02 juillet 2013, cette mère, agissant en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure, a assigné la paroisse dont dépendait la basilique devant le Tribunal de grande instance aux d’obtenir l’indemnisation des préjudices subis par sa fille.

Ses demandes ont été rejetées par un jugement du 29 mai 2015.

La jeune fille est devenue majeure le 05 mars 2016.

Elle a déposé plainte le 06 juillet 2018 et a saisi la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infraction (CIVI) le 22 octobre 2018 afin d’obtenir la réparation de ses préjudices.

Aux termes d’un arrêt en date du 24 mars 2022, la Cour d’appel de PARIS a déclaré ses demandes recevables, lui a alloué une provision de 150.000 € et a désigné un expert judiciaire aux fins d’évaluer son préjudice corporel.

Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) a contesté cette décision en formant un pourvoi en cassation.

2) Qu’est-ce que la CIVI et comment se déroule la procédure ?

La Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions est une commission spéciale dont le rôle est de faciliter l’indemnisation des victimes d’infractions pénales.

Il existe une CIVI au sein de chaque Tribunal judiciaire.

La procédure devant la CIVI est totalement autonome par rapport à la procédure devant les juridictions pénales (elle peut être saisie sans qu’il n’y ait eu de décision d’une juridiction pénale).

La Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions permet à des personnes victimes d’infractions graves, d’être indemnisées, par la solidarité nationale, de leurs préjudices corporels et ce, même lorsque l’auteur des faits est inconnu.

La procédure est engagée par le dépôt au greffe (ou l’envoi en LRAR) d’une requête signée par la personne victime, par son représentant légal ou par son conseil.

Il est possible de solliciter du Président de la CIVI, que soit ordonnée une expertise médicale (destinée à recenser et à préciser les différents postes de préjudices de la victime) qui pourra, le cas échéant, être accompagnée d’une demande de provision.

La procédure débute par une phase amiable, au cours de laquelle la requête et les pièces déposées par la victime sont transmises au Fonds de Garantie (FGTI) qui va les examiner et se prononcer dans un délai de 2 mois.

Si le Fonds de garantie estime que la demande est recevable, il existe 2 possibilités :

– Soit la victime accepte la proposition d’indemnisation qui lui est faite par le Fonds de garantie et la procédure prend fin par la validation, par le Président de la CIVI, de l’accord intervenu ;

– Soit la victime refuse la proposition d’indemnisation ou le Fonds de garantie oppose un refus motivé à sa demande d’indemnisation auquel cas la phase amiable prend fin et la procédure se poursuit devant la CIVI.

Lorsque la procédure se poursuit, le dossier est transmis par la CIVI au Procureur de la République et au Fonds de garantie afin que chacun puisse présenter ses observations.

La Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infraction prononce ensuite une décision d’indemnisation ou de rejet de la demande (décision qui peut faire l’objet d’un appel).

3) Quelles sont les conditions pour saisir la CIVI ?

En premier lieu, pour saisir la Commission, il faut être victime d’une infraction (sont notamment exclus les dommages résultant d’accidents de la circulation, d’accidents de chasse, d’actes de terrorisme et ceux résultant des maladies liées à l’amiante) ;

En deuxième lieu, l’infraction doit avoir entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail égale ou supérieure à un mois (cette exigence de gravité des dommages est exclue pour les infractions les plus graves) ;

Ensuite, la personne lésée doit être de nationalité française ou les faits doivent avoir été commis sur le territoire français ;

Enfin, la Commission doit être saisie dans les 3 ans qui suivent l’infraction ou, en cas de poursuites pénales, dans l’année qui suit la décision statuant définitivement sur l’action pénale.

En l’espèce, deux conditions ne posaient pas de difficulté : les faits se sont bien produits sur le territoire français à l’égard d’une victime française et ladite victime a présenté une incapacité permanente.

En revanche, les deux autres conditions, à savoir la caractérisation d’une infraction et l’introduction de l’action dans les délais impartis, ont fait l’objet de discussions.

4) L’existence d’une infraction pouvait elle être retenue ?

Pour le FGTI, chargé de supporter les condamnations prononcées par la Commission, il n’existait en l’espèce aucune infraction susceptible de justifier la saisine de la CIVI.

Le FGTI considérait que les responsables de la basilique dans laquelle s’étaient déroulés les faits n’avaient commis aucune violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la Loi ou le règlement et qu’il n’existait aucune faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’ils ne pouvaient ignorer.

D’après le Fonds de garantie, les manquements (principalement l’absence d’extincteurs dans la Basilique) devaient s’analyser en une « simple négligence en relation de causalité indirecte avec la survenance du dommage » et, en tout état de cause, non constitutive d’une infraction.

La Cour de cassation, confirmant l’appréciation faite par la Cour d’appel, a au contraire retenu que l’accident corporel était survenu dans un établissement recevant du public qui doit être doté d’un service de surveillance et de moyens de secours appropriés qui consistent notamment, pour la défense contre l’incendie, en des extincteurs portatifs installés à raison d’au moins un appareil pour 200 mètres carrés par niveau, de sorte que la basilique dans laquelle a eu lieu l’accident aurait dû être équipée d’au moins 20 extincteurs au rez-de-chaussée afin d’assurer la sécurité et la protection des fidèles et des visiteurs.

Il ressortait du dossier que le jour de l’accident, aucun extincteur n’avait été trouvé dans le bâtiment, ni par les amies de la victime, ni par les personnes présentes venues lui porter secours.

L’administrateur de la basilique avait lui-même déclaré à la presse que la remise aux normes électriques et de sécurité incendie de l’édifice se poursuivait.

La Cour de cassation a donc jugé que pouvait être retenue, à l’encontre des personnes en charge de la surveillance et de la sécurité de la basilique et dont la négligence avait contribué à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage, une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

Ces faits présentant bien le caractère matériel de l’infraction de blessures involontaires, la Haute juridiction a estimé que l’action de la victime portée devant la CIVI était parfaitement recevable.

5) Le délai pour saisir la CIVI a-t-il été respecté ?

La victime d’une infraction peut saisir la Commission d’indemnisation pour obtenir l’indemnisation de ses préjudices avec la possibilité, pour le Fonds de garantie qui assure le paiement des dommages et intérêts, de se retourner ensuite contre la personne responsable du fait dommageable.

L’article 706-5 du Code de procédure pénale prévoit que la victime d’une infraction dispose d’un délai de 3 ans, à compter de l’évènement traumatique, pour saisir la Commission.

Si des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé et n’expire qu’un an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l’action publique ou sur l’action civile engagée devant la juridiction répressive.

La victime peut être relevée de la forclusion lorsqu’elle n’a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans le délai requis.

Dans cette affaire, le Fonds de garantie invoquait le fait que la jeune victime ne démontrait pas ne pas avoir été en mesure de saisir la CIVI dans le délai de 3 ans alors même que sa mère, en sa qualité de représentant légale de l’enfant, avait réalisé des démarches judiciaires et notamment, engagé une procédure civile.

La Cour de cassation a estimé pour sa part que dans la mesure où elle était mineure au moment des faits et en raison de la carence de sa représentante légale qui n’avait pas agi devant la CIVI, la victime n’avait pas été en mesure de faire valoir ses droits et qu’elle avait été contrainte d’attendre de devenir majeure pour déposer plainte et saisir cette Commission.

La Cour a donc retenu que la victime disposait d’un motif légitime qui l’avait empêchée d’agir, de sorte qu’elle devait être relevée de la forclusion et que sa demande devait être considérée comme recevable.

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Il est à noter que depuis une Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, l’article 706-5 du Code de procédure pénale prévoit que lorsque l’infraction est commise à l’encontre d’un mineur, le délai de forclusion ne court qu’à compter de sa majorité (ce texte s’applique pour les dommages résultant de faits commis à compter de la publication de cette loi).

Nous ne pouvons que saluer la décision rendue par la Cour de cassation dans cette affaire qui a permis à une jeune victime, grièvement blessée, d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices.

En considération de la complexité des règles juridique (notamment procédurales), cet arrêt démontre, si besoin en était, l’intérêt que peuvent avoir les victimes souhaitant obtenir l’indemnisation de leurs préjudices de s’adjoindre le concours d’un avocat spécialisé en réparation du préjudice corporel.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.