Indemnisation de l’accident survenu dans un parc d’attractions (CA ROUEN, Première Chambre Civile, 12 juin 2024)

Indemnisation victime accident corporel parc d'attractions

Par un arrêt rendu le 12 juin 2024 (lien ici), la Première Chambre Civile de la Cour d’appel de ROUEN précise les conditions dans lesquelles la responsabilité d’un parc d’attractions peut être engagée à la suite d’un accident corporel.

Il s’agit d’un dossier dans lequel notre cabinet est intervenu au soutien de la défense des intérêts de la victime.

1) Quels sont les faits et le parcours procédural de cette affaire ?

Le 24 juin 2018, un couple passant la journée dans un parc d’attractions en compagnie d’amis, décide d’effectuer une attraction qui consiste à se lancer à l’aide d’un canot pneumatique comportant deux places, sur un toboggan alimenté en eau.

A l’issue de la descente, le canot ne s’est pas arrêté correctement et la jeune femme, positionnée à l’avant sur le canot pneumatique, a violemment percuté le matelas de protection dans l’aire d’arrivée du toboggan.

Elle a notamment souffert de plusieurs fractures du tibia et a décidé d’engager la responsabilité du parc d’attractions.

Compte tenu de ses blessures, la victime a tout d’abord saisi le Juge des référés près le Tribunal judiciaire de ROUEN d’une demande de provision à valoir sur son indemnisation définitive et d’une demande d’expertise médicale destinée à recenser ses postes de préjudices.

Le Juge des référés a fait droit à ses demandes : une provision lui a été accordée et un expert judiciaire a été désigné.

Sur la base du rapport d’expertise déposé par l’Expert, la victime a assigné le parc d’attractions et son assureur aux fins d’obtenir la liquidation de ses préjudices.

Aux termes d’un jugement du Tribunal judiciaire de ROUEN en date du 10 mars 2023, la victime a obtenu gain de cause et la responsabilité du parc d’attractions a été retenue sur le fondement de l’obligation de sécurité de résultat.

Le parc d’attractions et son assureur ont décidé d’interjeter appel de cette décision devant la Cour d’appel de ROUEN.

2) Quelles sont les conditions pour engager la responsabilité d’un parc d’attraction lors de la survenance d’un accident ?

Sur le fondement des articles 1146 et 1147 du Code civil (devenus 1231 et 1231-1 du même Code), la jurisprudence a dégagé l’obligation de sécurité pesant notamment sur les professionnels.

Il s’agit d’une responsabilité de nature contractuelle : la victime de l’accident corporel a acheté un ticket d’entrée, de sorte qu’un contrat a été conclu entre la cliente et l’exploitant du parc, tenu d’assurer la sécurité des participants aux activités.

La responsabilité de l’exploitant se révèle d’une intensité variable en fonction de l’obligation de sécurité (de moyens ou de résultat) qui lui incombe.

Si l’exploitant est tenu à une obligation de sécurité de résultat, alors il ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en démontrant l’existence d’un cas de force majeure ou l’existence d’une cause étrangère.

Si l’exploitant est tenu à une obligation de sécurité de moyens, il peut s’exonérer de sa responsabilité en démontrant qu’il n’a commis aucune faute ou que la victime a elle-même commis une faute.

Le critère de distinction réside dans l’éventuel rôle actif de la victime ou, à l’inverse, passif, de l’usager, lors de la survenance de l’accident.

Il convient donc d’apprécier au cas par cas et de manière objective le rôle exercé par l’usager.

Le constat d’un rôle passif justifie le recours à une obligation de sécurité de résultat à la charge de l’exploitant qui doit, en toute hypothèse, garantir la sécurité de ses clients.

C’est le cas par exemple du passager d’un manège qui, une fois qu’il est assis, n’a plus aucune liberté de mouvement.

En revanche, le rôle actif de l’usager du parc d’attractions légitime la mise en œuvre d’une simple obligation de sécurité de moyens.

C’est le cas par exemple lors de l’utilisation d’auto-tamponneuses.

S’agissant précisément d’un toboggan, la Cour de cassation (Cass. 1ère Civ. 28 octobre 1991, n° 90-14.713) a déjà précisé, qu’il convenait de distinguer :

  • Entre une obligation de sécurité de moyens lors de l’embarquement et du débarquement ; l’usager ayant alors un rôle actif ;
  • Et une obligation de sécurité de résultat pendant toute la durée du transport ; l’usager n’ayant, dans la descente du toboggan, aucune marge de manœuvre pour diriger sa descente.

Le 30 octobre 1995 (Cass. Civ. 1ère, 30 octobre 1995, n° 93-16.501), puis le 03 février 2011 (Cass. Civ. 1ère, 03 février 2011, n° 09-72.325), la Haute Juridiction avait encore rappelé que durant la phase de descente du toboggan, l’exploitant est tenu à une obligation de sécurité de résultat ; les utilisateurs ayant l’impossibilité de maîtriser leur trajectoire.

Le 09 janvier 2019 (Cass. Civ. 1ère, 09 janvier 2019, n° 17-19.433), la Cour de cassation avait précisé que l’arrivée du toboggan ne pouvait être dissociée de la descente.

Dans l’affaire portée devant la Cour d’appel de ROUEN, le parc d’attractions était donc débiteur d’une obligation de sécurité de résultat et devait ainsi démontrer l’existence d’un cas de force majeure ou d’une cause étrangère pour échapper à une condamnation.

3) Qu’est-ce que la cause étrangère ou la force majeure ?

Un parc d’attractions, pour s’exonérer de sa responsabilité, peut démontrer que le dommage ne se serait jamais produit si un évènement étranger à son propre fait n’était pas survenu.

Il doit donc établir que, par l’intervention de cet évènement (cette cause étrangère), il n’est pas à l’origine du dommage de la victime.

La cause étrangère désigne tout évènement non imputable au débiteur de l’obligation de sécurité et dont la survenance est la cause du dommage.

Si elle est établie, la cause étrangère est susceptible de constituer une cause d’exonération totale ou partielle de responsabilité.

Il pourrait s’agir, par exemple, d’un tiers qui intervient pendant la descente d’un toboggan pour empêcher la descente d’un autre usager dans de bonnes conditions ou qui place un obstacle à l’arrivée du toboggan.

Un parc d’attractions, pour s’exonérer de sa responsabilité, peut également démontrer la survenance d’un cas de force majeure.

La force majeure est un évènement qui échappe au contrôle de la personne tenue à l’obligation de sécurité, qui ne pouvait être raisonnablement prévu et dont les effets ne pouvaient pas être évités par des mesures appropriées, empêchant le parc d’attraction d’assurer son obligation de sécurité.

Il pourrait s’agir, par exemple, d’un évènement naturel comme un incendie ou une tornade (évènements auxquels on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre), survenant au moment de la descente et qui serait à l’origine du dommage.

4) Quels étaient les arguments du parc d’attraction ?

L’exploitant du parc d’attractions et son assureur faisaient valoir que le parc n’était tenu qu’à une obligation de sécurité de moyens ; la victime ayant, selon eux, conservé un rôle actif dans la réalisation de l’attraction.

Ils ajoutaient que la victime n’avait pas respecté les recommandations car l’attraction était prévue pour un poids maximal autorisé de 150 kilogrammes par canot, alors que le couple dépassait ce poids.

Le parc et son assureur affirmaient que des panneaux signalaient le poids total autorisé mais que le couple avait décidé de s’engager dans l’attraction avec un surpoids de l’ordre de 15 kilogrammes, ce qui aurait entraîné une vitesse plus rapide de la structure gonflable et un atterrissage plus violent.

D’après eux, le personnel du parc n’avait aucune obligation de vérifier le poids des participants.

Ils ajoutaient que la structure gonflable ne présentait aucune défaillance ; l’attraction ayant été vérifiée quelques semaines plus tard.

5) Quel a été le sens de la décision rendue par la Cour d’appel ?

Les Juges ont analysé la nature de l’attraction et ont retenu que celle-ci consistait, pour l’utilisateur, à rester assis dans un canot pneumatique positionné au départ sur une plateforme pivotante, basculée vers l’avant par un opérateur qui appuie sur un bouton pour amorcer le départ du canot dans la descente du toboggan ; chaque canot étant occupé par deux passagers.

Depuis le départ jusqu’à l’extrémité du toboggan, chaque canot glisse sur l’eau s’écoulant dans le toboggan et à l’arrivée, chaque canot glisse sur un tapis de sol plastifié long de quelques mètres, à l’extrémité duquel se trouve un matelas de protection pour stopper les canots qui ont pu glisser jusqu’à cette limite.

La Cour, appliquant les principes classiques en la matière, relève que pendant la descente et jusqu’à l’arrêt du canot, l’usager ne peut pas décider librement de sa trajectoire déterminée par la forme et la pente du toboggan, de sorte qu’il ne dispose d’aucune marge de manœuvre sur l’intensité de la vitesse de glisse du canot lancé sur le toboggan, y compris dans l’aire d’arrivée ; l’utilisateur étant obligé de suivre la trajectoire du canot jusqu’à son arrêt total.

La Cour a constaté qu’en l’espèce, la victime avait pris place devant son compagnon et que le canot avait terminé sa course en percutant le matelas de protection ; ses jambes passant en dessous du matelas et se retrouvant coincées et blessées.

Dans ces conditions, la juridiction rouennaise a retenu que le parc était bien débiteur d’une obligation de sécurité de résultat.

La Cour d’appel a, par ailleurs, considéré qu’il n’y avait aucune cause étrangère ni aucune force majeure de nature à exonérer le parc de sa responsabilité.

En premier lieu, le parc n’a pas démontré que le surpoids du couple serait à l’origine de la prise de vitesse du canot et de son atterrissage violent.

En deuxième lieu, la Cour retient que la victime n’était pas dans une position anormale tout au long de l’attraction.

Ensuite, le parc d’attractions et son assureur n’ont, selon la Cour, pas démontré que le panneau de signalisation présentant les consignes de sécurité étaient présent et visible.

Par ailleurs, la Cour précise que les opérateurs présents pour donner le canot au couple puis actionner l’attraction devaient attirer l’attention des participants sur les consignes de sécurité.

Enfin, le rapport de vérification excluant toute défaillance de l’attraction n’est pas de nature à établir que les consignes de sécurité ont bien été portées à la connaissance de la victime.

Ainsi, la victime a pu obtenir l’indemnisation de son entier préjudice corporel.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.