Chute sur un sol verglacé lors d’une réception : qui est responsable ? (Cass. Civ. 2ème 15 juin 2023)

indemnisation des préjudices victime chute accident corporel

Aux termes d’un arrêt rendu le 15 juin 2023 et publié au Bulletin (lien ici), la Cour de cassation applique le régime de la responsabilité du fait des choses à la société qu’elle estime gardienne d’un sol recouvert de neige verglacée, ayant provoqué la chute d’un invité à l’occasion d’une réception qu’elle organisait.

1) Quels sont les faits et la procédure à l’origine de cette affaire ?

Alors qu’il circulait à pied au sein des locaux d’une société qui l’avait convié à une réception, un invité a lourdement chuté sur le sol verglacé et enneigé du passage qu’il avait emprunté pour se rendre à l’intérieur des locaux.

L’invité dont il s’agit a glissé en arrière et s’est cogné la tête contre le sol.

Afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices, la victime de cet accident corporel a assigné l’assureur de la société organisatrice.

Au soutien de ses prétentions, la victime fondait ses demandes sur le régime de la responsabilité du fait des choses.

La Cour d’appel de PARIS, par un arrêt du 16 décembre 2021, a fait droit aux demandes de la victime estimant la société organisatrice responsable des dommages corporels causés à son invité.

L’assureur de cette société a formé un pourvoir en cassation.

2) Qu’est-ce que la responsabilité du fait des choses ?

La responsabilité du fait des choses est un principe « découvert » par la Jurisprudence afin de palier les insuffisances des règles du Code civil de 1804 pour répondre aux enjeux de l’industrialisation grandissante de la société (et des accidents divers en résultant).

L’idée était de permettre à une victime d’obtenir la réparation des préjudices résultant d’un dommage causé non par une faute, mais en raison d’une situation comportant des risques.

L’article 1242 alinéa 1er du Code civil (anciennement 1384 alinéa 1er) pose le principe selon lequel :

« On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

L’objectif de cette disposition est de détacher la responsabilité de la notion de faute : le gardien d’une chose (c’est-à-dire celui qui possède l’usage, la direction et le contrôle de la chose au moment du dommage) peut voir sa responsabilité civile engagée sans avoir commis de faute.

Précisions ici que si une présomption de garde pèse sur le propriétaire de la chose, celle-ci peut être renversée si ce dernier démontre qu’il en a transféré la garde.

Et quand bien même les dommages causés par une chose engagent désormais (quasiment) automatiquement la responsabilité de leur gardien, il faudra cependant que la victime démontre que la chose à l’origine de son dommage a joué un rôle actif dans la survenance de celui-ci.

La chose doit avoir eu un rôle de premier plan dans la réalisation du dommage et non un rôle secondaire ou passif.

C’est précisément sur ce point que les débats se sont concentrés en l’espèce.

Précisons enfin que lorsqu’il s’agit d’une chose en mouvement, son rôle actif est présumé de manière irréfragable (ce qui signifie que le gardien ne pourra pas prouver que la chose n’a eu aucun rôle dans la survenance du dommage).

En revanche, lorsqu’il s’agit d’une chose inerte, la victime doit prouver l’anormalité de la chose : il ne suffit pas que la chose ait été impliquée dans la survenance du dommage, il faut qu’elle se soit trouvée dans un état anormal ou dans une position anormale et qu’elle ait été l’instrument du dommage.

Bien évidemment, toutes ces considérations sont susceptibles de recevoir des interprétations et analyses différentes en fonction des situations et des intérêts de chacun.

3) Quels étaient les arguments de la société organisatrice ?

La société considérait tout d’abord (assez maladroitement) qu’elle n’était seulement que la gardienne du sol et non de la neige et du verglas qui s’étaient posés sur lui et qui avaient provoqué la chute de l’invité.

Elle rappelait ensuite que la neige et le verglas sont des res nullius (choses sans maître) qui ne sont appropriées et détenues par personne et qui ne sont sous la garde de personne.

Elle contestait donc avoir eu la garde de la chose au moment de la survenance du dommage.

La société organisatrice affirmait également que le gardien d’une chose inerte, tel que le sol recouvert de neige verglacée, suppose que sa présence ait eu un caractère anormal : elle explique, à cet égard, qu’elle avait déneigé un chemin pour assurer l’accès à la salle de réception et que l’invité ayant chuté avait emprunté un autre chemin (ce qu’il avait manifestement fait par erreur).

La société soutenait enfin que la neige et le verglas avaient été annoncés par les services de météorologie et que la victime savait qu’il faisait froid et qu’il neigeait, de sorte qu’une couche de neige verglacée ne pouvait pas, d’après elle, constituer une anomalie.

Ces arguments démontraient, selon la société organisatrice, que la responsabilité du fait des choses ne pouvait être retenue à son encontre.

4) Quelle a été la décision de la Cour de cassation ?

La Haute juridiction a, dans son arrêt du 15 juin 2023, repris chacun des arguments mis en avant par la société organisatrice et les a balayés.

En premier lieu, la Cour de cassation a vérifié la première condition nécessaire pour engager la responsabilité de la société organisatrice : elle a constaté que le chemin utilisé par la victime qui permettait aux piétons de se rendre de la rue au lieu de la réception, couvert de verglas caché par la neige et très glissant, avait bien joué un rôle causal dans la chute.

En deuxième lieu, la Haute juridiction a confirmé que la société était bien la gardienne du sol à l’intérieur de sa propriété.

La Cour a ensuite considéré que cette chose inerte était en position anormale puisque le passage avait été rendu dangereux et glissant en raison des intempéries.

La Cour relève enfin que si la société avait déneigé un autre passage permettant d’accéder au lieu de la réception, le passage enneigé emprunté par l’invité n’avait pas été fermé et restait donc accessible.

La Cour de cassation a donc confirmé la décision rendue par la Cour d’appel qui avait considéré que le sol, dont la société était bien la gardienne et qui était recouvert de neige verglacée, présentait un état de dangerosité anormal au regard de sa destination.

La société organisatrice a donc vu sa « responsabilité du fait des choses » engagée.

L’invité, victime de la chute, a donc pu obtenir l’indemnisation de l’ensemble de ses postes de préjudice.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.