Aux termes d’un arrêt rendu le 07 avril 2022 (lien ici) et publié au Bulletin, la Cour de cassation rappelle qu’en matière de responsabilité du fait des choses, la faute de la victime ne peut la priver de son droit à indemnisation que si elle est la cause exclusive de son préjudice
1) Quels sont les faits à l’origine de cette décision ?
Alors qu’il fumait une cigarette, assis sur le rebord de la fenêtre d’un appartement situé au 5ème étage d’un immeuble, un individu a basculé dans le vide et a trouvé la mort.
Ses parents et sa sœur ont alors assigné le propriétaire de l’appartement dans lequel est survenu l’accident, en réparation de leurs préjudices.
Le propriétaire bailleur a appelé en garantie la société chargée de la gestion du logement ainsi que l’assureur de celle-ci.
2) Quel a été le parcours procédural de cette affaire ?
Le Tribunal de grande instance initialement saisi par les ayants-droit a partiellement accueilli leur demande indemnitaire.
Par un arrêt en date du 23 juin 2020, la Cour d’appel de LYON a infirmé la décision de première journée en soulignant que le défunt « s’est montré particulièrement imprudent et est seul à l’origine de son dommage ».
A cet égard, la Cour a rappelé que l’individu, alors alcoolisé et ayant consommé du cannabis au moment des faits, n’aurait pas dû s’asseoir sur le rebord d’une fenêtre d’un appartement situé au 5ème étage et dépourvue de garde-corps, dans la mesure où face à une telle situation « toute personne avisée concevrait le danger ».
La Cour d’appel confirme donc le jugement entrepris au motif que « la seule faute d’imprudence de la victime à l’origine exclusive de son dommage fait obstacle à la mise en œuvre de la responsabilité du gardien de la chose inerte ».
Les ayants-droit du défunt ont alors formé un pourvoi en cassation.
3) Qu’est-ce que la responsabilité du fait des choses ?
La responsabilité du fait des choses a émergé à la fin du 19ème siècle.
A cette époque, face au développement de l’industrialisation et aux risques qu’elle générait ainsi qu’à l’augmentation du trafic automobile et des accidents de la route, la responsabilité du fait personnel (qui suppose la faute d’un responsable) s’est avérée insuffisante.
Le régime de cette responsabilité est un régime « objectif », indépendant d’une quelconque appréciation du comportement du responsable, a le mérite de faciliter l’indemnisation des victimes.
Il a été construit par la Jurisprudence sur le fondement de l’article 1384 al. 1er du Code civil (devenu article 1242 al. 1er du même Code).
L’article 1242 al. 1er du Code civil dispose : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».
Le principe de la responsabilité du fait des choses inanimées trouve son fondement dans la notion de garde, indépendamment du caractère intrinsèque de la chose et de toute faute personnelle du gardien.
La présomption de responsabilité à l’encontre de celui qui a, sous sa garde, la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui, ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable ; il ne suffit pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée inconnue (Cass. Ch. réunies. 13 février 1930 – Arrêt « Jand’heur »).
Le gardien de la chose qui a été l’instrument du dommage, hors le cas où il établit un événement de force majeure totalement exonératoire, est tenu, dans ses rapports avec la victime, à réparation intégrale, sauf son recours éventuel contre le tiers qui aurait concouru à la production du dommage (Civ. 2ème, 29 mars 2001 : Bull. civ. II, n° 68 ; D. 2001. IR 1285).
Pour que la responsabilité du gardien soit engagée, il n’est pas nécessaire que soit rapportée la preuve d’une faute de sa part.
La faute du gardien n’est en effet pas une condition de sa responsabilité, laquelle est objective, et justifiée par le seul fait que la chose était placée sous sa garde.
Il n’est pas davantage requis, pour qu’il y ait « fait de la chose » au sens de l’article précité, que la chose ait été en mouvement au moment du dommage ; une chose peut en effet avoir joué un rôle actif dans la réalisation du dommage alors même qu’elle était inerte.
Son rôle actif pourra notamment être déduit de ce qu’elle occupait une position anormale (Voir notamment : Civ. 2ème, 14 décembre 2000, Civ. 2ème, 25 octobre 2001).
La Cour de cassation a en effet affirmé à de nombreuses reprises que s’agissant d’une chose inerte, il appartient à la victime de rapporter la preuve que cette chose a été l’instrument de son dommage parce qu’elle occupait une position anormale (Voir notamment : Civ. 2ème, 17 février 2005, Civ. 2ème, 24 février 2005, Civ. 2ème, 16 octobre 2008, Civ. 2ème, 16 octobre 2008).
En l’état du droit positif donc, seul le rôle actif de la chose dans la réalisation du dommage doit être prouvé par la victime pour engager la responsabilité de son gardien (et non une faute de ce dernier).
La solution est constante.
4) Quelle était la question posée à la Cour de cassation ?
La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir dans quelle mesure le gardien de la chose instrument du dommage pouvait être exonéré de sa responsabilité.
5) Le principe rappelé par la Cour de cassation
La Cour de cassation rappelle, dans son arrêt du 07 avril 2022, que « seul le fait de la victime à l’origine exclusive de son dommage fait obstacle à l’examen de la responsabilité du gardien de la chose ».
La Cour de cassation, rappelant que la Cour d’appel avait constaté que la fenêtre « se trouvait à 42 cm du sol, mesurait 80 cm de haut et 125 cm de large et ne comportait aucun garde-corps malgré l’étage élevé de l’appartement » en déduit que le comportement du défunt « n’était pas à l’origine exclusive de sa chute puisque la présence d’un garde-corps l’aurait nécessairement empêchée ».
En l’espèce donc, le partage de responsabilités s’imposait.
La Haute juridiction a donc, fort logiquement, censuré l’arrêt rendu le 23 juin 2020 par la Cour d’appel de LYON.
Le principe rappelé par la Cour de cassation signifie, en d’autres termes, qu’à partir du moment où la chose a joué un rôle, même partiel, même minime, dans la réalisation du dommage, la faute de la victime n’est pas la cause exclusive de celui-ci.
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