Par un arrêt rendu le 15 février 2024 (lien ici), la Cour de cassation confirme que le droit, pour la victime d’un accident de la route, d’obtenir l’indemnisation intégrale de ses préjudices, ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est résulté n’a été provoquée ou révélée qu’en raison de l’accident.
1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?
Le 12 août 2013, un homme a été victime d’un accident de la route.
Un scanner et une IRM ont été réalisés et ont mis en évidence une pathologie lombaire dégénérative.
Avant l’accident, cette pathologie n’avait jamais été décelée et l’intéressé n’avait jamais souffert sur le plan lombaire.
Les médecins ont déterminé que l’accident corporel avait décompensé la pathologie préexistante.
La victime s’est retrouvée avec des douleurs lombaires de discopathies étagées protusives.
Cette personne souffrait donc d’une pathologie qui existait déjà avant l’accident de la circulation dont elle a été victime mais qui ne s’était jamais manifestée.
C’est donc l’accident qui a provoqué la révélation de cette pathologie (préexistante) ainsi que la manifestation subséquente des douleurs.
2) Quel est le parcours procédural de cette affaire ?
Afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel, la victime a assigné le conducteur responsable de l’accident et son assureur devant le Tribunal judiciaire.
Par la suite, la Cour d’appel de BORDEAUX, aux termes d’un arrêt en date du 21 juin 2022, a considéré que les lésions lombaires de la victime ne devaient pas être prises en charge au titre des conséquences de l’accident.
Les Juges du fond ont considéré que la victime présentait déjà, avant cet accident, une prédisposition pathologique, fut elle asymptomatique.
Ils ont retenu que les manifestations douloureuses de la pathologie lombaire dégénérative seraient nécessairement apparues même si l’accident ne s’était pas produit.
La Cour d’appel a ainsi considéré que certaines des blessures de la victime (celles liées à la pathologie lombaire) étaient liées à un état antérieur et n’ont pas retenu leur imputabilité à l’accident.
3) Quelle est l’incidence de l’état antérieur sur l’indemnisation de la victime ?
Le principe de réparation intégrale des préjudices est un principe fondamental de notre droit de la responsabilité civile.
Le fondement de ce principe se trouve dans l’article 1240 du Code civil (anciennement 1382) qui dispose que :
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Ce principe de réparation intégrale des préjudices implique que le responsable d’un fait dommageable doit indemniser tout le dommage et uniquement le dommage.
Il ne doit en résulter aucun appauvrissement ni aucun enrichissement pour la victime.
Au nom de ce principe, toutes les conséquences directes et certaines d’un évènement traumatique (accident de la circulation, accident de sport, agression, accident de la vie, erreur médicale, etc.) doivent être indemnisées.
Si la victime souffre d’un état antérieur qui n’est pas imputable à l’accident, les manifestations de cet état antérieur ne seront, en principe, pas indemnisées.
A titre d’exemple, imaginons une victime qui souffre depuis des années d’une invalidité au niveau d’une main et qui vient d’être victime d’un accident, lequel lui a occasionné une fracture du tibia. Le principe de réparation intégrale des préjudices implique que seules les conséquences de la fracture du tibia seront indemnisées par le responsable de cet accident et non les séquelles liées à sa main, qui n’a pas été rendue invalide par l’accident mais qui existait déjà au titre d’un état antérieur.
4) Quelle est la particularité de l’état antérieur non révélé ?
Il arrive parfois qu’une personne « souffre » d’un état antérieur dont les séquelles ne se sont pas encore manifestées.
Cette personne peut donc porter en elle une prédisposition pathologique asymptomatique qui n’a pas encore été décelée ou qui ne s’est pas encore révélée.
Les manifestations d’une pathologie (par exemple une perte de mobilité, des douleurs chroniques, etc.) peuvent se produire longtemps après la naissance de la pathologie.
Et il arrive parfois qu’un évènement traumatique révèle les conséquences de cette pathologie antérieure, préexistante, dont la victime n’avait jusqu’alors pas conscience.
C’est précisément le cas de la victime dans la présente décision : cette personne souffrait d’une pathologie lombaire dégénérative mais les effets de cette pathologie n’étaient pas encore apparus avant l’accident corporel dont elle a été victime.
L’accident de la route a provoqué la décompensation de cette pathologie et, après sa survenance, la victime a commencé à ressentir d’importantes douleurs lombaires de discopathies étagées protusives.
Il est certain qu’en présence d’une pathologie antérieure, le patient finira par ressentir les manifestations de la pathologie qu’il porte en lui et ce, même si aucun évènement traumatique ne survient.
La question de l’indemnisation des séquelles de cette pathologie préexistante ne se pose que lorsque qu’un évènement traumatique provoque l’apparition de ses manifestations.
5) Quelle a été la décision de la Cour de cassation ?
La Cour de cassation retient que le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est résulté « n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ».
Elle censure donc la Cour d’appel de BORDEAUX qui avait estimé que l’existence d’une prédisposition pathologique peut être appréhendée comme un « état antérieur patent » et, qu’à elle seule, cette existence justifiait de limiter le montant de l’indemnisation.
A partir du moment où il est certain que c’est l’évènement traumatique qui a provoqué l’apparition des symptômes qui jusque-là n’étaient pas connus, la victime a le droit d’obtenir la réparation intégrale de ses préjudices quand bien même cette pathologie existait déjà avant l’accident.
Les conditions pour que la victime obtienne une indemnisation en présence d’un état antérieur sont donc les suivantes :
- Il doit exister une prédisposition pathologique qui n’a pas encore été révélée au moment de l’évènement traumatique ;
- Les conséquences de cette pathologie ne doivent pas s’être manifestées avant la survenance de cet évènement traumatique ;
- L’évènement traumatique doit avoir provoqué l’apparition des symptômes de cette pathologie.
Cette solution s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence constante rappelée à maintes reprises par la Haute juridiction.
A cet égard, nous avions déjà eu l’occasion de commenter un arrêt rendu le 20 mai 2020 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelant le même principe, pour une victime dont la maladie de Parkinson n’avait été révélée qu’à la suite d’un accident corporel (lien ici).
En tout état de cause, nous ne pouvons que saluer cette décision, légitimement favorable aux victimes souffrant d’une pathologie préexistante, qui vient conforter et sécuriser leur situation d’un point de vue indemnitaire.
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Est-il besoin de rappeler qu’il est impératif que la victime ne se retrouve pas seule lors de l’expertise médicale face à l’expert judiciaire et au médecin conseil mandaté par la compagnie d’assurance ou le Fonds de garantie (FGAO ou FGTI) ?
Afin de permettre de prendre en considération l’intégralité de ses doléances et de caractériser l’ensemble de ses postes de préjudices indemnisables, il est primordial que cette victime soit assistée de son avocat et de son propre médecin conseil, pour ne pas se retrouver impuissante dans une situation dont elle n’est pas coutumière et où elle ne maîtrise rien.
N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.