Accident de la route : Les « traits de personnalité » d’une victime sont sans incidence sur son droit à indemnisation (Cass. 2ème Civ. 11 juillet 2024)

indemnisation postes de préjudices pathologie préexistante réparation intégrale

Aux termes d’un arrêt inédit rendu le 11 juillet 2024 (lien ici), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation revient sur la notion de prédisposition pathologique de la victime.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Le 26 février 1999, une femme a été victime d’un accident de la route impliquant un véhicule terrestre à moteur appartenant à une société et conduit par l’un de ses salariés.

Désirant obtenir la réparation de ses préjudices liés à cet accident corporel, la victime a engagé une procédure judiciaire.

Elle a, dans un premier temps, sollicité la désignation d’un expert judiciaire afin de réaliser une expertise médicale susceptible de caractériser et de quantifier les postes de préjudices imputables à l’accident de la circulation dont elle a été victime.

Plusieurs rapports d’expertise médicale judiciaire ont été déposés.

La victime a ensuite assigné l’assureur du conducteur responsable devant le Tribunal judiciaire afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices.

Un appel a été interjeté et la victime, insatisfaite de la décision rendue, a saisi la Cour de cassation

En l’espèce, c’est la question de l’indemnisation des postes de préjudices « déficit fonctionnel permanent » et « incidence professionnelle » qui a posé difficulté.

2) Que sont les postes de préjudice « déficit fonctionnel permanent » et « incidence professionnelle » ?

Le déficit fonctionnel permanent est un préjudice non économique lié à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel de la victime.

Il s’agit de la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-psychologique médicalement constatable, à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l’atteinte séquellaire ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte à la vie de tous les jours.

Il s’agit d’un préjudice qui s’apprécie après la consolidation de l’état de santé de la victime, c’est-à-dire lorsque son état n’est plus susceptible d’amélioration par un traitement médical adapté.

L’évaluation médico-légale de ce déficit se fait en pourcentage d’incapacité permanente partielle ou d’atteinte fonctionnelle du corps humain ; une incapacité de 100 % correspondant à un déficit fonctionnel permanent total.

L’incidence professionnelle correspond quant à elle aux séquelles qui limitent les possibilités professionnelles ou rendent notamment l’activité professionnelle antérieure plus fatigante ou plus pénible.

Ce poste de préjudice vise à indemniser les incidences périphériques et définitives liées à l’invalidité professionnelle de la victime telle que la dévalorisation sur le marché du travail ou bien l’augmentation de la pénibilité de l’emploi, la fatigabilité, l’obligation de reclassement, la poursuite d’une activité dans des conditions moins épanouissantes.

3) Quelle était la difficulté soulevée par cette affaire ?

Par un arrêt rendu le 28 février 2022, la Cour d’appel de TOULOUSE a limité l’indemnisation du poste de préjudice « déficit fonctionnel permanent » de la victime et a refusé d’indemniser son incidence professionnelle.

La Cour d’appel a estimé que « ce sont les traits de personnalité » de la victime, caractérisant un état antérieur, « qui expliquent les troubles très importants ressentis à la suite de l’accident ».

Les Juges d’appel ont poursuivi en expliquant que « jusqu’à l’accident, cet état antérieur n’était que latent (…), que l’équilibre était précaire mais que les difficultés étaient surmontées et que cette pathologie préexistante n’avait pas entraîné une incapacité ou une invalidité ».

L’arrêt précise qu’à l’occasion de l’accident, la victime avait exprimé ses conflits sur le registre psychosomatique et que son atteinte physique particulièrement bénigne avait pris des proportions extrêmement importantes.

La juridiction a considéré la victime avait tendance à somatiser, qu’elle avait des traits de personnalité qui auraient inéluctablement, même sans l’intervention de l’accident, conduit à une incapacité fonctionnelle, qu’elle avait un état antérieur latent qui explique les troubles très importants ressentis après l’accident alors qu’elle ne souffre que d’une atteinte physique légère.

La Cour d’appel a donc retenu que la victime souffrait d’un état antérieur dont les séquelles ne s’étaient pas manifestées avant l’accident.

Pour autant, la Cour a considéré que cet état justifiait de limiter l’indemnisation du poste de préjudice « déficit fonctionnel permanent » de la victime et de ne pas indemniser son incidence professionnelle.

Les Juges d’appel sont partis du principe que même sans la survenance de l’accident, la victime aurait fini par présenter des troubles et une incapacité, compte tenu de sa personnalité.

4) Quelle a été la solution retenue par la Cour de cassation ?

La Haute juridiction a fort logiquement censuré la décision rendue par la Cour d’appel de TOULOUSE en considérant qu’elle avait violé le principe de réparation intégrale du préjudice.

La Cour de cassation considère que le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est résultée n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable.

Il s’agit là d’une jurisprudence désormais bien établie.

Les magistrats ont relevé que jusqu’à l’accident, la victime souffrait d’un état antérieur qui n’était que latent et que cette dernière avait un équilibre certes précaire, mais que ses difficultés étaient surmontées de sorte que sa pathologie préexistante n’entraînait alors aucune invalidité.

Si la victime souffrait déjà d’une fragilité sur le plan psychologique, elle n’était, au moment de l’accident, atteinte d’aucune incapacité.

C’est donc bien l’accident qui a provoqué la décompensation de ses troubles.

Il s’agit ainsi d’un état antérieur (à savoir une prédisposition pathologique) dont les conséquences n’ont été révélées que par l’accident.

Dans ce contexte, en présence d’un état antérieur qui n’était pas révélé au moment de l’accident, celui-ci ne doit pas être pris en compte.

Cette état antérieur asymptomatique ne peut pas réduire le droit à indemnisation de la victime.

La Cour de cassation a déjà eu maintes fois l’occasion de se prononcer en ce sens (notamment Cass. 2ème Civ. 15 février 2024 et Cass. 2ème Civ. 20 mai 2020).

Voir notre analyse de ces décisions ici pour la décision de 2024 et ici pour la décision de 2020.

Cette espèce lui donne l’occasion de rappeler sa position constante, cette fois-ci dans le domaine psychique.

A partir du moment où il est certain que c’est l’évènement traumatique qui a provoqué l’apparition des symptômes qui jusque-là n’étaient pas connus, la victime a le droit d’obtenir la réparation intégrale de ses préjudices quand bien même cette pathologie existait déjà avant l’accident.

Rappelons que les conditions pour que la victime obtienne une indemnisation en présence d’un état antérieur sont les suivantes :

  • Il doit exister une prédisposition pathologique qui n’a pas encore été révélée au moment de l’évènement traumatique ;
  • Les conséquences de cette pathologie ne doivent pas s’être manifestées avant la survenance de cet évènement traumatique ;
  • L’évènement traumatique doit avoir provoqué l’apparition des symptômes de cette pathologie.

A l’instar de nos précédentes analyses sur la question, nous ne pouvons qu’approuver cette décision qui vient conforter et sécuriser, d’un point de vue indemnitaire, la situation des victimes souffrant d’une pathologie préexistante non encore révélée au moment où elles subissent un évènement traumatique (accident de la route, accident de sport, accident de la vie, erreur médicale, agression, etc.).

 

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.