Accident de la route : la faute de la victime peut réduire ou anéantir son droit à indemnisation (Cass. Civ. 2ème 10 février 2022)

Par un arrêt rendu le 10 février 2022 (lien ici) et publié au Bulletin, la Cour de cassation rappelle que pour apprécier l’éventuelle réduction ou exclusion du droit à indemnisation du conducteur victime, les juges du fond doivent seulement prendre en compte la faute de celui-ci, en lien avec le dommage qu’il a subi.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette décision ?

En l’espèce, un accident de la route est survenu le 04 juin 2015, près de la commune de Bouafle (78), à l’intersection d’une route départementale avec un chemin de terre, impliquant une moto-cross et une automobile assurée auprès de la compagnie AXA.

Il est avéré que le conducteur de la moto-cross conduisait au milieu de la route et n’avait pas attaché son casque.

Le conducteur de la moto-cross (grièvement blessé dans l’accident corporel) et son épouse (victime par ricochet), ont assigné le conducteur du véhicule et son assureur, la compagnie AXA, aux fins d’indemnisation de leurs préjudices.

2) Quel a été le parcours procédural de cette affaire ?

Par un jugement rendu le 24 janvier 2019, le Tribunal de grande instance de NANTERRE , « a dit que la faute commise par (le conducteur de la moto-cross) excluait son droit à indemnisation, l’a débouté de toutes ses demandes et l’a condamné aux dépens »

Le conducteur et son épouse ont interjeté appel de cette décision.

Par un arrêt rendu le 09 juillet 2020, la Cour d’appel de VERSAILLES, faisant application des dispositions de la loi n° 85-677 du 05 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation (dite « Loi Badinter »), a reconnu l’existence de plusieurs fautes du conducteur de la moto-cross et a fixé son droit à indemnisation à 40 %.

Le conducteur et son épouse ont alors formé un pourvoi en cassation.

3) Qu’est-ce que la loi Badinter ?

La loi n° 85-677 du 05 juillet 1985 dite « loi Badinter » (du nom de Robert Badinter, alors Ministre de la Justice et ayant inspiré la rédaction de cette loi) a créé un régime spécial d’indemnisation des victimes d’accident de circulation.

Cette loi est née dans une période où le nombre de d’accidents mortels de la route et d’accidents corporels graves étaient extrêmement importants sans que le droit alors applicable ne permette d’indemniser correctement les victimes.

Son but premier était donc d’améliorer la situation des victimes d’accidents de la circulation et d’accélérer les procédures d’indemnisation.

L’objet cette loi n’est pas, contrairement aux régimes classiques de la responsabilité civile, de rechercher le responsable du dommage mais plutôt de désigner le débiteur de l’obligation d’indemnisation.

4) Quelles sont les conditions d’application de la loi Badinter ?

Pour que cette la loi Badinter ait vocation à s’appliquer, plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies :

La loi Badinter privilégie les victimes « non-conducteurs » (essentiellement les piétons, cyclistes et passagers transportés) ainsi que les victimes vulnérables (jeunes de moins de 16 ans et personnes âgées de plus de 70 ans) en leur permettant d’être indemnisées des dommages corporels subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute (sauf à ce que ce soit une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité ou « faute inexcusable » si elle a été la cause exclusive de l’accident).

La situation du conducteur victime est moins favorable dans la mesure où sa faute, même simple, peut avoir pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des préjudices qu’il a subis.

5) Dans quels cas le conducteur victime peut voir son droit à indemnisation réduit ou exclu ?

L’article 4 de la loi Badinter dispose : « La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis ».

Ainsi, pour que le droit à indemnisation d’un conducteur victime d’un accident de la route soit réduit ou exclu, il faut démontrer qu’il a commis une ou plusieurs fautes ayant joué un rôle causal dans le dommage qu’il subit.

Cela signifie que si la faute d’un conducteur n’a joué aucun rôle causal dans son dommage, son droit à indemnisation reste intégral (c’est le cas, par exemple, du conducteur en état d’ébriété qui subit un dommage sans rapport avec son état).

Attention, le lien de causalité doit s’opérer entre la faute du conducteur et le dommage qu’il subit et non entre cette faute et l’accident (Voir : Cass. Ch. mixte.  28 mars 1997).

En présence d’une faute du conducteur victime, les juges doivent donc faire abstraction du comportement des autres conducteurs.

Dans notre cas d’espèce, c’est précisément ce que le conducteur de la moto-cross et son épouse reprochaient à l’arrêt de la Cour d’appel de VERSAILLES : Avoir fait référence à l’attitude du conducteur du véhicule impliqué dans l’accident pour déterminer de quelle manière le conducteur de la moto-cross avait commis une faute ayant contribué à la réalisation de son dommage.

6) Quelle était la question posée à la Cour de cassation ?

La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si la Cour d’appel de VERSAILLES avait pris soin de faire abstraction du comportement du conducteur de la voiture pour apprécier les fautes du conducteur de la moto-cross dans la réalisation de son propre dommage.

Dans leur pourvoi, le conducteur de la moto-cross et son épouse estimaient que tel n’était pas le cas puisque : « (…) en se fondant sur la circonstance que M. [R] s’était maintenu sur la voie de droite dans son sens de circulation pour apprécier si M. [H] [Y] circulait au milieu de la chaussée lors de la collision et si cette faute avait contribué à la réalisation de son dommage, la cour d’appel a violé l’article 4 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (…) ».

La Cour d’appel avait relevé que la largeur de la chaussée permettait aux véhicules de se croiser et que le véhicule impliqué était serré sur la droite, « collé au maximum » de ce côté de la chaussée.

Elle en avait déduit que le conducteur de la moto-cross circulait au milieu de la chaussée, de sorte qu’il avait vu arriver trop tard ledit véhicule.

7) Le principe rappelé par la Cour de cassation

Aux termes de son arrêt du 10 février 2022, la Cour de cassation estime que les juges de la Cour d’appel de VERSAILLES n’ont pas pris en considération le comportement du conducteur du véhicule impliqué et n’y ont fait référence que pour pouvoir déterminer la position de la victime conductrice :

« De ces constatations et énonciations procédant de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de fait et de preuve produits aux débats, la cour d’appel, faisant abstraction du comportement de M. [R] et ne considérant la position du véhicule de celui-ci qu’afin de déterminer celle de la motocyclette de M. [H] [Y], a exactement retenu que ce dernier avait commis une faute de nature à réduire son droit à réparation ».

La Haute juridiction rejette donc le pourvoi.

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A la lecture de cet arrêt, l’on constate que la Cour de cassation se retranche derrière le pouvoir souverain d’appréciation des Juges du fond.

Mais cette décision précise également que les juges du fond peuvent se référer à des circonstances extérieures (en l’espèce la position d’un autre véhicule) pour pouvoir apprécier le lien de causalité entre la faute du conducteur victime et son dommage (et non pour justifier de la survenance de l’accident).

Les juges du fond devront donc être extrêmement précautionneux dans la rédaction de leur décision pour éviter la censure de la Haute juridiction.

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.