Accident de la route et notion de transfert de la garde du véhicule (Cass. Civ. 2ème 07 juillet 2022)

Accident de la route et notion de transfert de garde du véhicule

Par un arrêt rendu le 07 juillet 2022 (lien ici) et publié au Bulletin, la Cour de cassation rappelle que le propriétaire d’un véhicule qui, en état d’ivresse, demande à un tiers de le reconduire, peut néanmoins rester le « gardien » du véhicule et engager sa propre responsabilité en cas de survenance d’un accident.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette décision ?

Le propriétaire d’un véhicule, ayant consommé de l’alcool, a décidé de confier son véhicule à un tiers pour le reconduire.

Le propriétaire a pris place à l’arrière du véhicule et le « capitaine de soirée » s’est placé au volant du véhicule.

Une autre personne a pris la place du passager avant.

Un accident de la route est survenu et le passager avant a été blessé.

2) Quel est le parcours procédural de cette affaire ?

La Caisse Primaire d’Assurance Maladie, qui a engagé des débours pour la victime de l’accident de la circulation (le passager avant), a assigné le propriétaire du véhicule, qui n’était pas le conducteur au moment de l’accident, pour obtenir le remboursement d’une somme de plus de 100.000 €, engagée pour le compte de la victime.

La Cour d’appel de NANCY, aux termes d’un arrêt rendu le 15 septembre 2020, a condamné le propriétaire du véhicule ; celui-ci étant déclaré civilement responsable de l’accident.

Le propriétaire condamné a décidé de se pourvoir en cassation.

3) Que sont les débours de la CPAM ?

Les débours sont les sommes qui, soit en vertu de la Loi, soit en vertu d’un contrat, doivent être avancées dans l’intérêt et pour le compte d’autrui.

En présence d’un accident de la route, l’auteur de l’accident (ou son assureur) est tenu de rembourser à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie tous les frais engagés pour le compte de la victime : dépenses de santé, frais médicaux et paramédicaux (infirmiers, kinésithérapie…), frais d’hospitalisation, indemnités journalières, etc.

4) Que recouvre la notion de « garde de la chose » ?

La notion de garde de la chose a une place très importante en droit de la responsabilité.

En principe, la personne considérée comme l’auteur de l’accident de la circulation est tout simplement le conducteur du véhicule au moment de l’accident.

Mais la responsabilité du « gardien » du véhicule peut également être recherchée (c’est notamment le cas lorsqu’un accident survient et qu’un véhicule impliqué est alors en stationnement).

L’article 2 de la Loi Badinter du 05 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’un accident de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation précise que « les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d’un tiers par le conducteur ou le gardien d’un véhicule ».

On peut donc être considéré comme gardien du véhicule (et voir sa responsabilité engagée sur ce fondement) sans être le conducteur au moment de l’accident corporel.

La garde du véhicule est caractérisée par le pouvoir d’usage, de contrôle et de direction du véhicule, étant précisé que le propriétaire d’un véhicule est présumé en avoir la garde, de sorte que c’est à lui de démontrer qu’il a transféré tous les pouvoirs au profit d’un tiers pour échapper à sa responsabilité.

5) Pourquoi la Cour d’appel de NANCY a-t-elle estimé que le propriétaire du véhicule, qui n’était pas le conducteur au moment de l’accident, devait néanmoins être reconnu responsable de celui-ci ?

Pour condamner le propriétaire du véhicule qui n’était pas conducteur au moment de l’accident de la route, la Cour d’appel de NANCY a retenu que le fait que le propriétaire avait, dans son seul intérêt et pour un laps de temps limité, confié la conduite à une autre personne, en raison de son état d’ébriété et tout en restant passager dans son propre véhicule.

La Cour d’appel a alors considéré que ces circonstances n’étaient pas de nature à transférer au conducteur (le « capitaine de soirée ») les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction caractérisant la garde.

6) Quels étaient les arguments du propriétaire condamné, en qualité de gardien, dans le cadre de son pourvoi en cassation ?

Le propriétaire, qui n’était pas conducteur au moment de l’accident de la circulation et qui estimait que sa propre responsabilité n’avait pas à être engagée, a formé un pourvoi en cassation en indiquant que s’il est effectivement présumé rester le gardien de son véhicule, il était, au moment de l’accident, à l’arrière du véhicule, en état d’ébriété, ce qui lui empêchait de prévenir le dommage.

Il a ainsi soutenu devant la Cour de cassation qu’il n’avait pas lui-même les moyens d’éviter l’accident alors que le conducteur était la seule personne à disposer de tous les pouvoirs (d’usage, de contrôle et de direction) pour empêcher le dommage.

7) Quelle est la solution retenue par la Cour de cassation ?

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l’article 2 de la Loi Badinter, a censuré la décision de la Cour d’appel de NANCY en considérant que les motifs retenus par la Cour étaient impropres à exclure, en considération des circonstances de la cause, que le propriétaire non conducteur avait perdu tout pouvoir d’usage, de contrôle et de direction de son véhicule.

La Cour rappelle que les juridictions du fond (Tribunal judiciaire, Cour d’appel) doivent déterminer concrètement, en considération de chaque situation, au cas par cas, si la garde du véhicule a effectivement été transférée par le propriétaire au conducteur.

Ici, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de s’être prononcée de façon abstraite et générale et de n’avoir pas apprécié, concrètement, compte-tenu du contexte dans lequel est survenu cet accident, si les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction avaient bien été transférés au capitaine de soirée et si la présomption de garde qui pèse sur le propriétaire devait être confirmée.

Cette décision rappelle donc qu’un propriétaire qui prête son véhicule pourra toujours voir sa propre responsabilité engagée sur le fondement de la garde de la chose, à charge pour les Juges du fond de bien motiver leur décision…

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.