Accident de la route et indemnisation de la perte de rémunération liée aux tickets restaurant (Cass. Civ. 2ème 30 mars 2023)

Accident de la route victime préjudice perte de tickets-restaurant

Aux termes d’un arrêt rendu le 30 mars 2023 (lien ici) et publié au Bulletin, la Cour de cassation s’est prononcée sur l’indemnisation du préjudice lié à la privation des tickets restaurant en considérant que dans la mesure où ceux-ci constituaient un complément de rémunération, leur perte devait être indemnisée.

1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?

Le 02 mars 2010, alors qu’il circulait sur sa moto, un homme est victime d’un accident de la route impliquant un autre véhicule.

L’indemnisation des préjudices du motard provoque des désaccords entre lui et l’assureur du véhicule du conducteur responsable de l’accident corporel, tenu de l’indemniser sur le fondement de la Loi BADINTER du 05 juillet 1985.

Faute d’avoir pu trouver une solution amiable et régulariser une transaction, le litige a été porté devant le Tribunal de grande instance (ainsi dénommé à l’époque des faits).

L’un des points de désaccord concernait l’indemnisation de la perte, pour la victime, de ses tickets restaurant.

2) Quel a été le parcours procédural de cette affaire ?

La Cour d’appel de BORDEAUX, aux termes d’un arrêt en date du 11 mai 2021, n’a pas fait droit à la demande du motard sur ce point (ainsi que sur d’autres).

La victime a donc initié un pourvoi en cassation.

3) Quel est le point de droit soumis à la Haute juridiction dans cette affaire ?

Dans cette affaire, plusieurs questions de droit ont été soumises à l’examen la Cour de cassation

L’une d’entre elles concernait la nature des tickets restaurant ; question qui était débattue entre l’assureur et la victime.

Pour l’assureur, les tickets restaurant correspondaient à un « remboursement de frais », de sorte que leur perte ne peut être compensée.

Pour la victime, les tickets restaurant correspondaient à un « complément de salaire » et devaient, à ce titre, être pris en compte pour apprécier sa perte de gains professionnels (qui figure parmi les postes de préjudices indemnisables).

Aux termes de sa décision, la Cour d’appel de BORDEAUX a, pour sa part, considéré que les tickets restaurant ne constituaient pas un complément de salaire, mais un remboursement de frais engagés par un salarié qui n’a, ni la possibilité de regagner son domicile pendant le déjeuner, ni la possibilité de bénéficier d’une solution de restauration au sein de l’entreprise.

Cette décision, défavorable à la victime, a été censurée par la Cour de cassation.

4) En quoi consiste l’indemnisation de la perte de gains professionnels ?

Rappelons qu’en vertu du principe de réparation intégrale des préjudices, le responsable d’un dommage doit indemniser tout le dommage et uniquement le dommage, sans qu’il en résulte, ni appauvrissement, ni enrichissement pour la victime.

En matière de perte de gains professionnels, l’indemnisation est, en principe, égale au coût économique du dommage pour la victime.

Il est donc nécessaire d’évaluer la rémunération perçue par la victime avant la survenance de l’accident (ce que l’on appelle le « salaire de référence ») et de la comparer à celle qu’il a perçue après l’accident (notamment pendant les périodes d’arrêt de travail).

Précisons que la perte de revenus se calcule en « net » et hors incidence fiscale.

Sont alors pris en compte, pour évaluer la perte, les salaires perçus par la victime après l’accident (et éventuellement les indemnités journalières versées par la Caisse de sécurité sociale et/ou par une mutuelle complémentaire souscrite à son bénéfice) par comparaison au salaire de référence.

Très régulièrement, les sommes perçues par la victime après l’accident sont inférieures au salaire de référence.

Et si cette dernière subit une perte de revenus du fait de l’accident, cette perte doit être indemnisée.

Entre la date de l’accident et la date de consolidation de l’état de santé de la victime (c’est-à-dire la date à laquelle l’état de santé de la victime n’est plus susceptible d’amélioration ni d’aggravation), on parle de perte de gains professionnels actuels.

Pour la période postérieure à la consolidation de l’état de santé de la victime, on parle de perte de gains professionnels futurs.

5) Tous les éléments du salaire entrent ils en compte dans le calcul de la perte de gains professionnels ?

Non, tous les éléments de salaire perdus ne donnent pas lieu à une indemnisation.

Il faut vérifier si l’on est présence d’un « remboursement de frais » ou d’un « complément de salaire ».

Lorsque l’un élément du salaire correspond à un remboursement de frais, il n’est pas pris en compte pour apprécier le salaire de référence de la victime.

La Cour de cassation considère par exemple que la prime de panier correspond à un remboursement de frais, et non à un complément de salaire, puisque son objet est de compenser le surcoût d’un repas, notamment en cas de déplacement du salarié.

De la même manière, la Cour de cassation considère que l’indemnité de transport a pour objet d’indemniser le salarié des frais de ses déplacements entre son domicile et son lieu de travail et, là encore, elle estime qu’il s’agit d’un remboursement de frais et non d’un complément de salaire.

Ainsi, la prime de panier et l’indemnité de transport perçues par le salarié avant l’accident ne sont pas prises en compte dans le calcul de son salaire de référence puisqu’il ne s’agit pas d’un complément de salaire mais de la contrepartie de frais effectivement engagés par lui pour pouvoir travailler (plus précisément pour se rendre au travail et se nourrir pendant le travail).

6) Quelle est la « nature » des tickets restaurant ?

Pour la Cour de cassation, c’est la décision inverse qui s’impose : les tickets restaurant correspondent à un complément de rémunération et non à un remboursement de frais.

La Haute juridiction a, dans un premier temps, fait référence à l’article L3262-1 du Code du travail, et précise que « le titre restaurant est un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter en tout ou partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté chez un détaillant de fruits et légumes ».

La Cour a ensuite rappelé les dispositions de l’article 81,19° du Code général des impôts et précise que « le complément de rémunération résultant de la contribution de l’employeur à l’acquisition par le salarié des tickets restaurant est affranchi de l’impôt sur le revenu dû par le salarié dans une certaine limite ».

La Cour a enfin évoqué plusieurs arrêts rendus par ses différentes Chambres et qui permettent de définir la nature des tickets restaurant :

Au regard de tous ces éléments, la Cour de cassation a, sur ce point de droit, censuré la Cour d’appel de Bordeaux en retenant que les tickets restaurant correspondaient bien à un « complément de rémunération » et non à un « remboursement de frais ».

Il en résulte que pour apprécier la perte de gains professionnels de la victime, il est nécessaire de prendre en considération non seulement son salaire mais également tous les compléments de salaire, dont les tickets restaurant font partie.

Une telle appréciation permet de respecter le principe de réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime.

La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, à laquelle est dévolue la plupart des questions relatives à l’indemnisation du préjudice corporel, a ainsi harmonisé sa jurisprudence avec celle de la Chambre sociale et de la Chambre criminelle.

Cette solution, favorable aux victimes a le mérite de clarifier les choses et nous ne pouvons que nous en féliciter.

 

N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.