Aux termes d’un arrêt rendu le 15 décembre 2022 (lien ici), la Cour de cassation rappelle que le principe de non mitigation (qui implique la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable) a vocation à s’appliquer dans l’évaluation des besoins d’assistance de cette dernière par une tierce personne.
1) Quels sont les faits à l’origine de cette affaire ?
Le 13 mai 2012, la passagère transportée d’une moto est victime d’un accident de la route au cours duquel elle est grièvement blessée.
Cette victime a initié une procédure judiciaire afin d’obtenir l’indemnisation des préjudices causés par cet accident corporel.
Au cours de cette procédure, l’expertise médicale de la victime, destinée à recenser et évaluer les postes de préjudices de cette dernière, est intervenue.
Cette expertise a révélé que la victime souffrait de raideurs articulaires et de douleurs qui contre-indiquaient la position accroupie et le port de charges lourdes et qui limitaient tant son périmètre de marche que le temps durant lequel elle pouvait tenir la position debout.
Cette victime a sollicité la réparation intégrale de ses préjudices et notamment l’indemnisation de ses besoins d’assistance par une tierce personne puisqu’elle ne peut désormais plus réaliser ses courses dans les mêmes conditions qu’avant l’accident.
Rappelons que l’assistance par une tierce personne correspond aux dépenses liées à la perte d’autonomie, notamment au besoin, pour la victime, de se faire assister par un tiers (membre de la famille ou prestataire professionnel) pour tout ou partie des gestes de la vie courante (la préparation des repas, le ménage, la toilette, l’habillage, les déplacements, les courses, etc.).
L’assistance par une tierce personne peut être temporaire (entre l’accident et la date de consolidation, c’est-à-dire la date à partir de laquelle l’état de santé de la victime n’est plus susceptible d’évoluer) ou définitive (après la consolidation et jusqu’à la fin de la vie de la victime).
2) Quel a été le parcours procédural de cette affaire ?
L’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2022 ne précise pas quelle a été la position des juges de première instance.
La Cour d’appel de CHAMBERY, le 25 février 2021, a tout d’abord constaté que la victime souffrait de raideurs articulaires et de douleurs qui contre-indiquaient la position accroupie et le port de charges lourdes et qui limitaient tant son périmètre de marche, que le temps durant lequel elle pouvait tenir la position debout.
Autrement dit, la Cour d’appel retenait que les douleurs et raideurs dont souffrait la victime l’empêchait de faire ses courses normalement.
Mais lorsqu’il s’est agi de chiffrer le poste de préjudice « tierce personne définitive », la Cour d’appel a considéré que les besoins d’assistance de la victime par une tierce personne pouvaient être limités, si celle-ci fractionnait ses courses.
Ainsi, selon la Cour, la victime pourrait avoir un besoin d’assistance limité si elle décidait de faire ses courses plus régulièrement et de manière fractionnée, ce qui limiterait le port des charges lourdes et réduirait son temps de présence dans les rayons.
La Cour d’appel de CHAMBERY a même rappelé que la prestation de livraison à domicile était désormais proposée par de très nombreux professionnels, y compris dans le domaine de l’alimentaire.
Les Juges du fond ont donc considéré que les besoins d’assistance par une tierce personne pouvaient être limités si la victime changeait ses habitudes et ont estimé, pour ces raisons, qu’une assistance à hauteur de 20 heures par an était suffisante.
Un tel raisonnement, qui impose à la victime de changer ses habitudes pour limiter son préjudice, va à l’encontre du principe de réparation intégrale des préjudices.
La victime a donc formé un pourvoi en cassation.
3) Qu’est-ce que le principe de non mitigation du préjudice ?
La mitigation est un mot français, issu du latin « mitigare », qui signifie l’adoucissement, la modération.
En droit anglo-saxon, le principe est celui de la mitigation : la victime d’un dommage, si elle en a la possibilité, doit le minimiser.
En droit français, le principe est celui de la non mitigation et ce, en application du principe de réparation intégrale des préjudices qui impose de replacer la victime dans la situation qui était la sienne avant la survenue de l’évènement traumatique (accident de la route, accident de sport, agression, erreur médicale, accident de la vie, etc.).
La victime ne peut avoir l’obligation de limiter ou de minimiser son préjudice afin de réduire la dette d’indemnisation du débiteur.
Par exemple, une victime n’est pas tenue de réaliser certains soins qui seraient susceptibles d’améliorer son état de santé, elle n’est pas obligée de suivre une thérapie pour tenter d’améliorer ses séquelles psychologiques, elle n’est pas non plus tenue d’accepter un nouveau poste qui la contraindrait à déménager, etc.
L’évaluation de son préjudice, par l’expert comme par le Juge, doit être réalisée in concreto, en considération de ses séquelles et de son mode de vie antérieur à l’évènement traumatique, et non de la situation qui pourrait être la sienne si elle cherchait à limiter son préjudice.
Dans l’affaire commentée, la Cour d’appel a clairement invité la victime à minimiser son dommage en lui suggérant de fractionner ses courses et en lui rappelant qu’elle avait la possibilité de se les faire livrer, pour justifier la limitation de ses besoins d’assistance par une tierce personne.
4) Quel est le sens de la décision rendue par la Cour de cassation ?
La Cour de cassation s’était déjà montrée très hostile à l’application du principe de mitigation du préjudice de la victime (Voir notamment ; Cass. 2ème Civ. 25 octobre 2012, n° 11-25511 ; Cass. 2ème Civ. 28 mars 2013, n° 12-15373 ; Cass. 1ère Civ. 15 janvier 2015, n° 13-21180 ; Cass. 2ème Civ. 06 février 2020, n° 18-26779).
Elle réitère sa position dans notre cas d’espèce, en censurant partiellement la Cour d’appel de CHAMBERY sur ce point de droit.
Au visa du principe de réparation intégrale des préjudices, sans perte ni profit pour les victimes, la Haute juridiction juge que la victime d’un dommage n’a pas l’obligation de le limiter dans l’intérêt du responsable.
Au cas présent, la Cour de cassation considère donc qu’il n’est pas possible de contraindre une victime qui souffre de raideurs et de douleurs l’empêchant de faire ses courses normalement, à fractionner celles-ci ou bien encore à se les faire livrer.
Les besoins d’assistance par une tierce personne de la victime doivent donc être évalués avec le souci de la replacer dans des conditions aussi proches que possibles, que celles qu’elle connaissait avant l’accident.
L’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2022 rappelle que le principe de non mitigation du dommage s’applique à tous les postes de préjudices et s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence constante, soucieuse de réparer intégralement les préjudices des victimes.
N’hésitez pas à contacter Maître Bourdet afin de lui exposer la situation dans laquelle vous vous trouvez ou la difficulté à laquelle vous êtes confronté.